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Spatial: l'Allemagne veut-elle faire cavalier seul avec un site de lancement off shore en Mer du Nord?

Avec la participation du ministre fédéral de l'Économie Peter Altmaier et du coordinateur aérospatial du gouvernement fédéral, Thomas Jarzombek, le coup d'envoi a été donné pour la construction d'une plate-forme de fusée mobile pour l'Europe dans la mer du Nord allemande.

Avec la participation du ministre fédéral de l'Économie Peter Altmaier et du coordinateur aérospatial du gouvernement fédéral, Thomas Jarzombek, le coup d'envoi a été donné pour la construction d'une plate-forme de fusée mobile pour l'Europe dans la mer du Nord allemande. - Gosa

Des industriels allemands présentent un projet pour lancer des petits satellites depuis un navire en mer du Nord. Ils demandent le soutien financier de Berlin. Présenté comme complémentaire à Kourou, il pourrait devenir un sérieux concurrent à l'Europe spatiale.

"De la mer du Nord à l'espace: l'aube d'une nouvelle ère dans l'espace européen". Le BDI (Bundesverband der Deutschen Industrie, Fédération des industries allemandes) ne cache pas son rêve de voir se concrétiser ce projet ambitieux: un navire de lancement de petites fusées qui opérera en Mer du Nord allemande depuis Bremerhaven, un port situé à quelques kilomètres à l'ouest d'Hambourg. Les industriels comptent démarrer en 2023.

Pour le moment, rien n'est fait et encore moins décidé. Ce projet vient de recevoir le feu vert pour la réalisation d'une étude de faisabilité. L'Allemagne espère ainsi ouvrir une nouvelle porte d'entrée vers l'espace. Le programme est opéré par le Gosa (German Offshore Spaceport Alliance), un consortium composé de quatre fabricants européens de fusées. Deux Allemands, Rocket Factory Augsburg (RFA) et HyImpulse, un néerlandais, T-Minus, et le Britannique, Skyrora. Lors d'un évènement organisé par le BDI, le ministre fédéral de l'Économie Peter Altmaier et le coordinateur aérospatial du gouvernement fédéral, Thomas Jarzombek, étaient présents pour cette étape majeure.

"Ce signal est une étape historique. Il offre à l'Allemagne et à l'Europe la chance d'être à l'avant-garde mondiale sur le futur marché dynamique de l'espace", se réjouit le BDI dans un article publié sur son site.

Concurrence avc Kourou

Le BDI se défend de vouloir concurrencer les autres sites européens de lancement. L'organisme explique qu'il s'agit plutôt de compléter le potentiel de Kourou "pour renforcer les voyages spatiaux 'Made in Europe'". Il explique aussi que le potentiel des nouveaux marchés des petits satellites est suffisamment important pour accueillir un nouveau site de lancement.

Près de 15.200 satellites seront lancés dans l'espace d'ici 2030 dont 90% de petits satellites. Le Gosa estime pouvoir réaliser jusqu'à 25 lancements par an. Il compte investir 27 millions d'euros d'ici le premier démarrage en 2023. Le consortium tente désormais de convaincre le gouvernement allemand de financer la plateforme.

L'Allemagne est l'une des nations les plus performantes en matière de voyages spatiaux en Europe. Les entreprises spatiales allemandes sont parmi les meilleures au monde", affirme le porte-parole du Gosa.

Pour tenter convaincre Berlin, mais aussi l'Europe, ce groupe présente de solides arguments. D'abord simplifier les mises en orbite polaires plus simple à atteindre que depuis l'Equateur. Financièrement, ce site de lancement au large de Bremerhaven, un port situé à quelques kilomètres à l'ouest d'Hambourg, permettrait de réduire les coûts de transport et de logistique. En quelques heures, les éléments de la fusée et les satellites arriveront par le train à Bremerhaven pour y être assemblés. Sept jours après, le navire peut être chargé et aller au large pour effectuer le lancement. Un délai sans commune mesure avec un lancement à Kourou.

L'Allemagne en concurrence avec l'Europe?

En Europe, plusieurs pays ne voient pas d'un bon oeil cette initiative. En plus de Kourou, elle dispose d'autres sites de lancement en Suède et en Norvège sur l'île d'Andøya. Spécialisé dans les tirs de fusées-sondes ils sont en cours d'adaptation pour accueillir des lanceurs plus puissants sur une base commerciale. A Esrange, la Suède accueillera son premier lanceur en 2022. Mais même en Allemagne le site off shore fait débat.

"Cela n'a pas de sens économique d'avoir une rampe de lancement allemande si les besoins européens peuvent déjà être couverts par la Norvège et la Guyane française", a réagi Daniel Metzler, fondateur d'Isar Aerospace.

Ce constructeur allemand de fusées concurrent de SpaceX a mis au point Spectrum, une fusée capable d'emporter un satellite pesant jusqu'à une tonne en orbite basse. Il a passé un accord avec Andøya Space pour un accès exclusif dès l'an prochain et pendant deux décennies à l'une de ses aires de lancement. Isar a aussi signé en avril un contrat avec Airbus Defence & Space pour le lancement de LEO, un petit satellite d'observation en orbite basse. Toutefois, l'Allemagne pourra compter sur le soutien des membres du consortium Gosa, Rocket Factory, HyImpulse, T-Minus et Skyrora.

Quelles conséquences pour l'ESA (Agence spatiale européenne) qui finance avec le CNES (Centre national d'études spatiales) les travaux de modernisation de la base de Kourou d'où parteront Ariane 6 et Vega-C, une petite fusée de 35 mètres destinée à mettre en orbite des petits satellites?

"Avant tout commentaire sur ce projet, il faut attendre les résultats de l'étude de faisabilité. Mais pour le moment, rien n'est fait", nous a répondu un porte-parole de l'ESA.

La prudence de l'ESA peut s'expliquer. Comme le rappelle le magazine Challenges, l'Allemagne est devenue son plus gros contributeur financier et peut imposer des conditions. Mais quoi qu'il en soit, le programme allemand est perçu comme une volonté de jouer cavalier seul en entrant en concurrence avec l'Europe pour donner un coup de fouet à son industrie spatiale quitte à se fâcher avec ses partenaires.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco