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Inflation: pour les sénateurs, la grande distribution a des "pratiques contestables"

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La Commission des affaires économiques du Sénat a enquêté sur les différents facteurs qui expliquent la hausse des prix. Les distributeurs ne sont pas exempts de reproches.

C'est un peu l'histoire de l'arroseur arrosé. Dans des déclarations tonitruantes, Michel-Edouard Leclerc accusait clairement certains industriels de profiter de la situation géopolitique pour gonfler artificiellement leurs prix et donc participer à la flambée de l'inflation.

De quoi initier une enquête de la Commission des affaires économiques du Sénat qui a entendu des dizaines d'acteurs. Résultat, il n'y a pas de "phénomène massif de hausses "suspectes" et de "tentative généralisée des industriels".

Par contre, les grands distributeurs sont épinglés pour des "pratiques contestables" qui participent à la hausse des prix. "Des pratiques gonflant artificiellement l’inflation, émanant de certains distributeurs, ont été pointées du doigt par plusieurs acteurs, y compris publics" comme la Direction générale de la répression des fraudes, peut-on lire.

Des prix en hausse mais pas pour les fournisseurs

Ces pratiques sont difficilement quantifiables (volume et fréquence), estiment les rapporteurs mais elles vont dans le même sens: "certains distributeurs appliquaient des hausses de prix de vente dans leurs rayons alors même qu’ils n’avaient pas signé de hausse de tarif d’achat du produit avec le fournisseur".

Le rapport souligne en effet que "les fournisseurs quant à eux, remarquent que certains prix de vente au consommateur final ont augmenté dans les rayons de la grande distribution, alors même qu’elle aurait refusé au préalable les hausses de tarifs qu’ils demandent".

"Par ailleurs, ils déplorent un climat général de fermeté de la part des distributeurs, qui refuseraient nettement d’accepter la partie des hausses de tarifs liée aux matières premières industrielles, et qui rallongeraient inutilement les négociations afin de "gagner du temps", ce qui se traduirait par des pertes pour les fournisseurs", peut-on lire.

Des clients peu regardants

La grande distribution profiterait par ailleurs d'un contexte anxiogène pour faire passer discrètement des hausses de prix qui n'auraient pas lieu d'être.

"Ces pratiques seraient facilitées par le fait que les consommateurs s’attendent, de toute façon, à constater une forte inflation dans les rayons: dès lors, augmenter le prix de vente 'discrétionnairement', sans même que le prix d’achat n’ait été revu à la hausse, permet à celui qui met en œuvre cette pratique d’accroître sa marge en jouant sur l’ignorance du consommateur, qui ne sait bien entendu pas si tel ou tel produit a fait l’objet d’une renégociation commerciale en cours d’année, et dans quelle proportion", écrivent les sénateurs.

Les acteurs de la distribution continueraient par ailleurs à pratiquer le rapport de force habituel avec leurs fournisseurs. "Certains industriels ont également alerté le groupe de suivi sur le fait que des distributeurs refuseraient d’accepter des hausses de tarifs et prendraient sciemment le risque d’une rupture du contrat commercial, car le fournisseur serait de toute façon obligé de continuer à livrer les produits durant le préavis de rupture".

Gagner sur tous les tableaux

Une pratique qui permet de gagner sur tous les tableaux... "Ces livraisons se feraient à l’ancien tarif, c’est-à-dire celui de mars 2022: le distributeur peut donc soit, dans ses rayons, afficher un prix de vente plus bas que ses concurrents (puisqu’il achète encore le produit à l’ancien tarif), soit augmenter le prix de vente du produit compte tenu du contexte d’inflation générale, mais sans avoir eu à supporter une hausse du coût d’achat (marge nette supplémentaire, acquittée par le consommateur)".

Les acteurs de la grande distribution se seraient néanmoins engagés, si ce cas de figure se présente (rupture du contrat mais livraisons maintenues durant le préavis), à passer une partie de la hausse de tarif fournisseur. "Selon les fournisseurs entendus, cet engagement serait inégalement respecté", alertent les sénateurs.

L'exemple du chocolat
Dans ses interventions, Michel-Edouard Leclerc a pris l'exemple des produits à base de cacao pour dénoncer les pratiques de certains industriels. "Quand vous avez des fabricants de produits à base de cacao qui vous invoquent l'Ukraine pour une augmentation de 15% de tarifs sur la confiserie, sur les barres chocolatées – je parle de Nestlé, je parle de Mars – faut quand même pas déconner! On est sur l'autre continent pour le cacao!", lançait-il.

Le rapport des sénateurs démonte cet exemple. "Une barre chocolatée, en effet, ne contient pas que du cacao, mais également du lait, du sucre, des céréales (trois produits dont la hausse des cours est importante), est entourée d’un emballage plastique, nécessite du temps de transport pour être acheminée, etc.".

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business