Greg Kelly, l'ancien bras droit de Carlos Ghosn, attend seul son procès au Japon

Greg Kelly, l'ancien bras droit de Carlos Ghosn à Tokyo (Japon) attend toujours son procès. - BEHROUZ MEHRI / AFP
Lui aussi avait été arrêté le 19 novembre 2018 sur le tarmac de l’aéroport de Tokyo (Japon). Et il n’a pas depuis quitté l’archipel. Suite à la fuite de Carlos Ghosn, Greg Kelly, son ancien collaborateur chez Nissan lui aussi poursuivi au Japon, se sent encore plus seul face au procès qui l'attend.
L’AFP l’a rencontré cette semaine à Tokyo et c’est un homme entre espoir et désarroi qui s’est confié. En évoquant rarement Carlos Ghosn. La date d'ouverture de son procès n'a toujours pas été fixée.
"Abasourdi" par la fuite de Carlos Ghosn
La fuite au Liban de son ancien patron fin décembre l'a d'abord laissé "abasourdi", raconte cet Américain de 63 ans. "J'ai été complètement pris par surprise", assure-t-il, s'abstenant toutefois prudemment de juger cette évasion.
Le principal accusé n'étant plus au Japon, "il me semble plutôt difficile d'avoir vraiment un procès équitable. Comment voulez-vous instruire ce dossier d'une façon logique?", s'interroge-t-il.
Ton humble, style simple et discret: Greg Kelly ressemble à une antithèse de Carlos Ghosn, dont il assure qu'il n'était pas le "confident" ou le bras droit, contrairement à ce que les médias affirment souvent. Chez Nissan, "je rencontrais Carlos Ghosn seulement deux fois par mois [...]. Nous n'étions pas proches personnellement. Nous ne parlions que du travail", affirme-t-il.
Et pourtant, depuis bientôt un an et demi, son sort est étroitement lié au magnat déchu de l'automobile. En tant qu'ancien responsable des ressources humaines et des affaires juridiques de Nissan, Greg Kelly est accusé au Japon d'avoir aidé Carlos Ghosn à dissimuler aux autorités boursières plusieurs dizaines de millions d'euros de revenus qu'il devait toucher ultérieurement.
Comme son ancien patron, Greg Kelly soutient n'avoir "rien fait de pénalement répréhensible au Japon" et a toujours du mal à croire qu'il encourt jusqu'à dix ans de prison. "Pour moi, cela aurait pu être résolu au sein de Nissan. S'il y avait une erreur sur la mention de quelque chose qui n'a jamais été validé et jamais payé...", dit-il.
Une détention difficile
Greg Kelly a passé plus d'un mois en détention, à l'isolement, alors qu'il avait initialement prévu de rentrer au plus vite aux Etats-Unis pour être opéré d'une sténose lombaire après la réunion importante du conseil d’administration convoquée par Nissan et qui a conduit Carlos Ghosn et Greg Kelly au Japon en novembre 2018.
"C'était vraiment douloureux", raconte-t-il, expliquant avoir patiemment dû convaincre ses gardiens qu'il ne pouvait pas s'asseoir sur le sol de sa cellule, comme l'imposait le règlement. "Je ne suis pas le genre de personne qui va cogner la porte et hurler" pour se faire entendre, glisse-t-il.
Dès sa libération sous caution, il a été opéré par un chirurgien au Japon dont il se dit satisfait, bien qu'il souffre toujours d'engourdissements aux bras, aux jambes et aux pieds, qui le font parfois chuter. Pas question toutefois pour lui de renoncer à son jogging matinal quotidien aux abords du Palais impérial de Tokyo, tout près du petit appartement qu'il loue avec sa femme Donna. "Ca calme le stress", relève-t-il.
"Cela n'a pas de sens d'être ici"
Le couple mène une drôle d'existence à Tokyo, contrainte et plutôt solitaire, loin de leurs deux fils et petits-enfants aux Etats-Unis, auxquels Greg Kelly ne peut rendre visite, ayant l'interdiction de quitter le Japon. En raison de son inculpation, il lui est aussi interdit de contacter beaucoup de ses amis, anciens ou actuels employés de Nissan. Des photos de proches ornent les murs du deux-pièces propret du couple.
"Ce n'est pas notre foyer ici. On l'appelle juste ‘l'appartement’ ", précise Donna Kelly.
Lui passe une grande partie de ses journées chez ses avocats japonais, à consulter une montagne de documents informatiques fournis par les procureurs, dont certains contiennent selon eux des pièces à charge contre lui. Sauf qu'il ne sait pas lesquels.
Son épouse prend des cours de japonais afin de justifier le visa étudiant qu'elle a pris pour rester durablement au Japon auprès de son mari. "Vous ne pouvez pas manquer les cours et il faut réussir les examens", prévient-elle.
"Cela n'a pas de sens d'être ici, dans cette situation", lâche Greg Kelly, qui se dit "frustré".
Mais sans pour autant maudire Nissan, l'entreprise pour laquelle il a travaillé pendant près de trente ans: "Je veux que Nissan aille bien".
Maintenant que Carlos Ghosn s'est évaporé, "il pourrait peut-être y avoir un moyen de résoudre" cette situation, espère-t-il vaguement. "Je ne sais pas ce qu'il va se passer [...]. On vit au jour le jour".