F-35: la Suisse a-t-elle laissé croire à la France qu'elle opterait pour le Rafale?
Le choix de signer avec les Etats-Unis un contrat de 5 milliards de francs suisses (4,6 milliards d'euros) pour 36 F-35A n'en finit plus de créer des remous en Suisse. Au départ et jusqu'au dernier jour de l'annonce de la décision, tout laissait penser que le choix se porterait sur le Rafale qui correspondait plus aux besoins de la Suisse.
Finalement, le prix proposé par les Américains et une intervention inattendue de Joe Biden, président des Etats-Unis, a fait pencher la balance au dernier moment. Le 30 juin 2021, Berne a rendu son verdict. Le secrétaire général suppléant du Département fédéral de la défense (DDPS) Marc Siegenthaler a récemment précisé que, le F-35 A "coûte 2,3 milliards de moins que le deuxième candidat le moins cher".
Selon un article publié par le média alémanique Republik, en gagnant un peu sur l'achat des avions, la Suisse a perdu beaucoup en perdant un sous-contrat à plus de 3 milliards d'euros que Paris offrait pour obtenir ce marché.
Selon Republik, "la France s'engageait à transférer une plus grande partie de ses recettes fiscales provenant des salaires des frontaliers vers la Suisse". Selon des sources citées par le média, "cet accord devait rapporter à la Suisse 3,5 milliards de francs (3,4 milliards d'euros) de recettes fiscales supplémentaires sur 30 ans".
Une "offensive de charme"
Le revirement de la Suisse en faveur des Etats-Unis a évidemment enterré ce projet. Mais un fossé bien plus profond s'est creusé avec la France du fait de la manière dont Berne a géré ces deux dossiers, celui des achats d'avions et des recettes fiscales.
Toujours selon Republik, la Suisse continuait de discuter du sous-contrat tout en sachant qu'elle ne signerait pas avec Dassault. Depuis avril 2021, la Confédération savait qu'elle opterait pour les F-35. Un rapport d'évaluation d'Armasuisse remis à Viola Amherd, ministre suisse de la Défense, donnait déjà l'avantage à l'avion de chasse américain. Et au lieu de ne pas laisser croire que la France avait encore sa chance, "la Suisse a poursuivi son offensive de charme diplomatique".
"Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis s'est rendu à Paris à la mi-juin et a rencontré Jean-Yves Le Drian, ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères. Et le président fédéral Guy Parmelin a téléphoné au président français Emmanuel Macron à trois reprises au cours du premier semestre 2021 - le plus récemment le 22 juin 2021, huit jours seulement avant la décision finale sur les avions de chasse, comme le confirme son département", révèle Republik.
Cette méthode a été perçue par la France comme un affront. En réaction, Paris aurait rapidement "coupé tous les contacts diplomatiques de haut niveau", selon une note confidentielle révélée par Republik. Envoyé par Ignazio Cassis au Conseil fédéral", ce message précise qu'un "lien avec la décision sur les avions de chasse est suspecté".
"Froid glacial"
La suite confirme le "froid glacial" qui souffle depuis entre les deux pays. En octobre, Florence Parly, ministre des Armées, n'a pas désiré s'entretenir avec son homologue Viola Amherd qui se rendait à Bruxelles pour évoquer la participation de la Suisse projet militaire de coopération structurée permanente (CSP, en anglais Pesco pour Permanent Structured Cooperation). La ministre suisse n'a seulement pu rencontrer la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer.
Autre conséquence, une rencontre planifiée depuis 6 mois entre le président suisse Guy Parmelin et Emmanuel Macron a été brusquement annulée. Lors de cette réunion, les relations entre la Suisse et l'Union européenne devaient être abordées avant la présidence française à l'Europe. Le département de l’économie a minimisé l'incident en expliquant que "la visite n’était pas définitivement convenue", ce que confirme la France.
"Le président Emmanuel Macron a confirmé le principe de la rencontre début 2021, les Suisses ont rapidement proposé une date en novembre et nous avions répondu que nous regarderions", a expliqué une source diplomatique à la RTS.
Mais pour Carlo Sommaruga, conseiller aux Etats genevois, cette rencontre "importante" était bien programmée et une annulation "au dernier moment, lorsqu'on a déjà fait les premiers préparatifs (...) n'est pas un signe très encourageant".
