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Covid-19: Moderna accusé d'optimisation fiscale en Suisse et au Delaware

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Un des contrats passés entre le laboratoire et la Commission européenne a fuité en avril dernier, montrant que Moderna utilise une filiale suisse pour la transaction sur les vaccins. De la même façon, la plupart des brevets ont été déposés au Delaware, Etat américain considéré par certains observateurs comme un paradis fiscal.

En l'espace d'un an, Moderna est entré dans la cour des grands. La biotech américaine, dirigée par le Français Stéphane Bancel, vaut désormais près de 100 milliards de dollars au Nasdaq après avoir réussi l'exploit de proposer un vaccin efficace contre le Covid-19, en un temps record.

Et l'entreprise va continuer à croître. "Moderna grossit à très grande vitesse, on était 800 collaborateurs il y a un an, on est 1600 aujourd'hui, on sera 3000 à la fin de l'année" expliquait récemment Stéphane Bancel à BFM Business.

Mais cette croissance semble aller de pair avec une optimisation fiscale digne des plus grandes majors, comme l'accuse l'ONG néerlandaise SOMO, connue pour ses recherches et prises de position critiques sur les multinationales.

Discrétion et faible taux d'imposition

Le premier grief se retrouve dans un des deux contrats signés entre la biotech et l'Union européenne pour la fourniture de vaccin, révélé par la chaine italienne Rai 3 en avril dernier. On y apprend notamment le prix de la dose payée par Bruxelles: 18,80 euros, plus cher que les vaccins concurrents. Mais on découvre aussi que le contrat est signé avec "Moderna Switzerland GmbH", une filiale de Moderna fondée en 2020 dans la ville suisse de Bâle.

Officiellement, cette installation en Suisse permettait de produire plus rapidement le vaccin. "On a choisi Bâle, car c’est un hub pharmaceutique et qu’on y avait des connexions" explique au Temps Nicolas Chornet, qui supervise la logistique vaccinale hors des Etats-Unis.

Mais l'avantage est aussi fiscal. Si la Suisse a fait du chemin sur la transparence fiscale, le pays fait toujours partie des plus compétitifs en matière d'impôt sur les sociétés. Dans le canton de Bâle-ville, il est établi à 13,04%, soit un des taux d'imposition sur les bénéfices les plus faibles du pays, selon KPMG. En France, ce serait près du double. Surtout, le pays garde encore une certaine opacité et se classe à la troisième place de l'Index de l'opacité financière 2020, derrière les Iles Caïman et les Etats-Unis.

"Par conséquent, les comptes 2021 de Moderna Switzerland GmbH ne seront pas accessibles au public dans les années à venir" estime SOMO. "Il sera probablement impossible pour le public de déterminer les bénéfices exacts (…) ni de voir si le taux d'imposition effectif de l'entreprise est bien proche du faible taux légal d'imposition des sociétés de 13% de Bâle."

C'est probablement un trou dans la raquette de la fameuse réforme internationale et son taux d'imposition minimum: des niches fiscales (ou la prise en compte de certaines charges) par exemple peuvent être un très bon moyen de faire baisser mécaniquement le taux effectif réel par rapport au taux facialement appliqué.

10 milliards de recettes en Europe

D'ailleurs, Moderna avait-il un réel intérêt industriel de s'implanter en Suisse? SOMO en doute. Si le réactif est bien produit dans le pays, c'est un sous-traitant (Lonza) qui s'en charge dans un canton différent tandis qu'une autre partie de la production est aux Pays-Bas. "Cela ne fournit pas une justification économique convaincante pour laquelle Moderna devrait gagner ses revenus de vaccins européens en Suisse" juge le rapport de l'ONG. En 2021, Moderna prévoit de générer 18,4 milliards de dollars de recettes grâce à son vaccin contre le coronavirus. Compte tenu des commandes (460 millions de doses), le contrat européen représente plus de 10 milliards d'euros de recettes, qui seront déclarées en Suisse.

SOMO pointe aussi du doigt la présence de Moderna au Delaware, Etat américain régulièrement associé à un paradis fiscal. C'est ici que l'entreprise dépose la plupart de ses brevets, nerf de la guerre économique pour le secteur pharmaceutique. La biotech a déposé plus de 780 brevets dont près de 600 concernent leur activité phare, l'ARN messager, indique SOMO. Et au Delaware, les revenus issus des brevets (cession, licence…) ne sont que faiblement taxés. Car si le siège social de Moderna est officiellement au Massachusetts, l'entreprise est bien enregistrée au Delaware, comme de nombreuses multinationales.

Une optimisation fiscale agressive qui n'est pas illégale, mais qui fait grincer des dents. D'autant que la biotech a profité des largesses du gouvernement américain pour financer le développement du vaccin, plus de 4 milliards de dollars de subventions selon les autorités sanitaires, sans compter les commandes.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business