Comment l'Armée française développe et teste ses futurs navires de combat

La rupture du contrat australien ne ralentit pas le rythme des activités de Naval Group. Pour preuve, l'effervescence que vit le centre d’expertise et d’essais hydrodynamiques de la Direction générale de l'Armement (DGA).
Basée dans l'Eure, au Val-de-Reuil, cette unité de 200 personnes développe et teste tous les vaisseaux qui constituent la Marine Nationale. Avant de parcourir les mers, porte-avions, sous-marins et frégates passent du projet à la réalité dans ces hangars hautement sécurisés. Pierre angulaire de la construction navale, ce centre nous a exceptionellement ouvert ses portes afin de découvrir les vaisseaux qui équiperont dans les prochaines années la Marine Nationale. Les navires les plus stratégiques y sont nés, du porte-avions Charles de Gaulle au sous-marin Triomphant en passant par le Redoutable et tous les navires de surface.
"Il n'y a pas de prototype pour créer un navire militaire, on doit le réaliser du premier coup. Mais tous sont testés sous forme de maquette pour être efficace et si nos sous-marins nucléaires sont indétectables pour protéger la Nation, c'est grâce au travail des experts de ce centre unique en Europe", explique Hervé Grandjean, porte-parole du ministère des Armées.
Des maquettes testées dans des conditions extrêmes
L'architecture des navires construits par Naval Group est ainsi testée sur place dans les conditions les plus difficiles.
"Il faut environ un vingtaine d'années, parfois plus, entre le démarrage d'un projet et les premiers essais en mer, et une grande partie de ce temps se passe dans ce centre, résume Laurent Le Saint, directeur du centre d’expertise et d’essai de la DGA. Le travail sur le porte-avions de nouvelle génération a déjà démarré en 2019 pour qu'il puisse prendre la mer en 2038 pour prendre la relève du Charles de Gaulle".
Et les tests commencent avant même de découper la première plaque de tôle pour former la carène, que l'on appelle communément une coque. D'abord en simulation numérique avec un système informatique basé sur un cluster ultrapuissant de 12.000 cœurs capable de recréer toutes les situations sur toutes les mers du globe, des tempêtes aux vagues les plus déchainées. Une fois validée, une maquette sera réalisée pour passer les trois étapes qui valideront le projet.
Sur place sont aussi créés les hélices, appelées propulseurs, pour rendre les bâtiments efficaces et, s'il le faut, silencieux.

Les performances "aérodynamique" et acoustique des hélices sont ainsi étudiées dans un tunnel hydrodynamique permettant de mesurer le moindre décibel créé. Lors de notre visite, le propulseur de la frégate de défense et d'intervention (FDI) était en test. Un fois le but atteint, la maquette sera reproduite à l'échelle 1 pour équiper le bâtiment.
Autre épreuve subie par les navires: la cuve à houle pour simuler le comportement des navires ou des sous-marins proche de la surface. Ce bassin de 32 mètre sur 10 reproduit grâce à un dispositif mécanique assisté par ordinateur toutes les conditions de mer possibles. Et selon l'échelle de la maquette (de 1 mètre à plus de 10 selon le type de navire en développement), l'effet des vagues est reproduit en tenant compte de la profondeur.

Nous avons assisté aux essais de tenue en mer du Barracuda, le sous-marin nucléaire de dernière génération dont les tests en mer débutent parallèlement à Toulon. La couleur jaune poussin de la maquette n'est pas un clin d'oeil au Beatles.
"C'est la couleur idéale pour repérer l'effet de l'eau sur la coque. Nous utilisons le jaune depuis des décennies, tous les navires testés dans notre centre ont été reproduit de cette manière", explique Laurent Le Saint
En fonction des calculs obtenus grâce à des capteurs, des modifications seront apportés sur le bâtiment.
"Les essais se poursuivent même en parallèle de ceux menés en mer avec la version définitive du bâtiment", précise un ingénieur de la DGA.

Dernière étape, le bassin de traction, dit B600 dans lequel sont mises à l'épreuve la résistance des coques et la propulsion en eau calme ou agitée, voire très agitée avec des vagues reproduites par ordinateur. Cette piscine à vagues est la plus grande d'Europe: 600 mètre de long, 15 de large avec une profondeur de 7 mètres. Un système entraine les navires, sous et sur l'eau, à différentes vitesses et dans toutes les conditions. Actuellement, la Frégate de Défense et d'Intervention (FDI), dont la France doit prendre livraison en 2022, y subit les derniers tests.

Les futurs sous-marions nucléaires en test
Bientôt ce sera au tour du futur porte-avions de la Marine nationale dont la maquette de 12 mètres de long est en cours de réalisation, de faire ses preuves. Viendra ensuite celui du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE 3G), annoncé en février dernier par Florence Parly lors d'un déplacement au Val-de-Reuil. Ce programme de quatre sous-marins est en phase de simulation numérique pour entrer en service à partir de 2035 avec la mise à l'eau d'un bâtiment tous les 5 ans jusqu'en 2050. Leur mission est de patrouiller discrètement par grand fond et en permanence jusqu'en 2080.
Pour s'adapter aux "menaces du futur", ce programme disposera de marges d’évolution "pour faire face à des percées technologiques imprévisibles". Un défi pour Naval Group, TechnicAtome, mais aussi pour le centre d'expertise de la DGA qui devront créer un sous-marin indétectable capable de passer sous les radars de dispositifs qui n'existent certainement pas encore.
