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Ces "petites mains" italiennes exploitées sans vergogne par le luxe "made in Italy"

Une enquête du New York Times a révélé l'existence de couturières sous-payées dans les Pouilles (sud) fabriquant des vêtements pour de grandes enseignes italiennes.

Une enquête du New York Times a révélé l'existence de couturières sous-payées dans les Pouilles (sud) fabriquant des vêtements pour de grandes enseignes italiennes. - Miguel Medina-AFP

L'ambiance festive et glamour de la Fashion Week à Milan est gâchée par une enquête du New York Times révélant l'existence de couturières sous-payées (au noir) et sans couverture sociale dans les Pouilles en Italie du sud. Elles fabriquent des vêtements pour de grandes enseignes italiennes.

Quand les dessous de l'industrie italienne du luxe révèlent des pratiques sociales discutables en vigueur dans la péninsule. Une enquête du New-York Times, le grand quotidien américain, relate que, dans la petite ville de Santeramo in Colle, dans la province de Bari, une femme (qui a souhaité que son identité ne soit pas révélée) dit coudre chez dans son appartement pour 10 euros par jour des vêtements de la marque de prêt-à-porter MaxMara, laquelle commercialise ensuite ces pièces entre 800 et 2000 euros l'unité. 

Cette couturière est payée 1 euro par l’usine qui l’emploie, pour chaque mètre de tissu qu’elle réalise. "Il me faut environ une heure pour coudre un mètre, soit environ quatre à cinq heures pour terminer un manteau entier", a déclaré au journal américain, la femme, qui travaille sans contrat ni assurance et qui est payée en espèces chaque mois. "J'essaie de faire deux manteaux par jour."

La femme confie avoir atteint un maximum de 24 euros dans une journée pour confectionner un manteau, le tout au noir, donc sans assurance ni couverture sociale.

Des conditions de travail dignes de pays émergents

Des conditions de travail que l'on rencontre "au Bangladesh, au Vietnam ou en Chine", écrit le quotidien américain, assurant pouvoir prouver "qu'une soixantaine de couturières travaillent à domicile et sans contrat de travail" dans la seule région des Pouilles. Dans certains cas, le tarif horaire ne dépasse par les 3 euros.

Citant l'ouvrage de la sociologue Tania Toffanin, "Fabbriche Invisibili" (Usines invisibles"), qui traite du travail des femmes à domicile, le New York Times estime que 2 à 4000 personnes sont concernées par le phénomène dans le secteur du vêtement en Italie.

Directement interpellée par ces révélations, la Chambre nationale de la mode italienne (CNMI) a cependant fait valoir que cette statistique, la seule récente, devait être placée "dans le contexte d'une grande industrie qui emploie 620.000 personnes dans 67.000 entreprises".

Autour des podiums de la Fashion Week vendredi à Milan, l'enquête du New York Times a été largement commentée par les professionnels, dont beaucoup ont estimé qu'elle portait injustement atteinte à la florissante industrie du luxe et, par ricochet, au sacrosaint "Made in Italy".

Pour le président de la CNMI, Carlo Capasa, il s'agit là "attaques honteuses et instrumentalisées". Selon lui, le problème qui émerge de l'enquête est celui de la sous-traitance, "phénomène à la marge mais néanmoins grave qui échappe au contrôle des maisons de couture et que l'industrie a l'intention d'éradiquer", a-t-il déclaré à l'AFP. Selon lui, "les entreprises du luxe sont les plus actives dans la lutte contre ce phénomène".

En Italie, 3,7 millions de gens travaillent sans contrat

Miucci Prada, patronne de la griffe séculaire qui porte son nom et petite-fille de son fondateur, assure que les maisons de mode italiennes disposent de garde-fous, "toutes les entreprises s'étant dotées de codes et d'inspecteurs". "Mais le monde réel est plus complexe et il y aura toujours quelqu'un pour se laisser corrompre", a-t-elle admis.

Selon l'Institut italien de la statistique (Istat), 3,7 millions de personnes, tous secteurs confondus, travaillaient sans contrat en Italie en 2015.

Pour certains représentants syndicaux, la polémique sur les conditions de travail dans la mode est liée à la pression exercée sur le secteur par les pays asiatiques, où la main d'oeuvre est moins chère. "C'est la tyrannie du choix du consommateur qui pousse les entreprises du secteur à chercher des solutions moins onéreuses pour être compétitives, en particulier contre l'Asie qui produit à bas coût", a expliqué à l'AFP Roberto Manzoni, président de la Fédération Italienne du Secteur Mode.

F.B avec AFP