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INFOGRAPHIE. Le réveil du nucléaire va conduire à un boom de 177% de la demande d'uranium: le problème c'est que ça coûte de plus en plus cher d'en trouver sur Terre

Des camions transportant de la roche contenant de l'uranium, le 23 février 2005 sur le site de la mine d'uranium à ciel ouvert d'Arlit (Niger), dans le désert de l'Aïr, une des régions les plus déshéritées du monde. Image d'illustration.

Des camions transportant de la roche contenant de l'uranium, le 23 février 2005 sur le site de la mine d'uranium à ciel ouvert d'Arlit (Niger), dans le désert de l'Aïr, une des régions les plus déshéritées du monde. Image d'illustration. - PIERRE VERDY

La consommation mondiale d'uranium devrait passer de 65.000 tonnes à 180.000 tonnes chaque année. S'il ne devrait pas y avoir de pénurie, les prix pourraient sensiblement grimper. À moins d'augmenter sérieusement les investissements.

Le monde va réclamer de plus en plus d'uranium. La demande devrait presque tripler d'ici 2040, passant de 65.000 tonnes à 180.000 tonnes par an (+177%), selon un récent rapport de la World Nuclear Association.

Les projets de construction de réacteurs nucléaires se multiplient, alors qu'ils avaient eu tendance à se raréfier, en particulier dans les pays occidentaux, à la suite de l'accident de Fukushima en 2012. Cette situation a contribué à faire bondir les prix de l'uranium (+56% depuis 2022), et cela pourrait continuer.

"S’il n’y a pas de risque perceptible de pénurie d’uranium –les réserves techniquement exploitables identifiées étant suffisantes pour couvrir les besoins d’ici la fin du siècle– en revanche, leur disponibilité à un coût économiquement acceptable n’est pas encore garantie", observent les chercheurs Teva Meyer et Frédéric Jeannin, dans un récent rapport de l'IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques).

Ces tensions ne sont pas nouvelles. Les capacités de production actuelles ne parviennent déjà pas à satisfaire la demande. Environ un quart des besoins sont aujourd'hui assurés par la mobilisation de stocks ou par le recyclage de combustibles déjà utilisés. Et c'est le cas "depuis la fin des années 1980", relève le site spécialisé Connaissance des énergies.

Tensions sur les approvisionnements

À moyen terme, les tensions ne viennent pas tant des ressources naturelles que de leur exploitation. Des doutes existent en effet quant à la capacité de certains grands pays producteurs à augmenter leurs extractions. Le Kazakhstan, qui assure environ 40% de la production mondiale, a récemment été confronté à des pénuries d'intrants, en l'occurrence d'acide sulfurique, limitant ses capacités.

Dans une récente note publiée sur le site The Conversation, le chercheur Teva Meyer observe aussi que le pays exporte son minerai par la mer Noire, où le transport est chamboulé par la guerre en Ukraine, ce qui a entraîné des surcoûts.

Le Kazakhstan était en 2022 le premier fournisseur d'uranium naturel d'EDF (37%), apportant 2.659 tonnes sur les 7.131 tonnes utilisées pour faire tourner les centrales françaises, selon des données du Comité technique Euratom fournies au journal Le Monde.

Au Niger, la production a été interrompue après le coup d'État de 2023. Le groupe français Orano a perdu le contrôle de ses filières nigériennes, qui ont été nationalisées par le pouvoir en place.

Teva Meyer constate également que l'exploitation de l'uranium est parfois limitée par des obstacles réglementaires, comme en Australie, où se trouvent les plus importantes réserves mondiales.

"La part de l'Australie dans la production d'uranium (8,5%) a peu de chance de décoller. L’exploitation nécessite en effet l’autorisation des gouvernements fédéraux et régionaux. Or, 11 des 13 projets miniers les plus avancés se trouvent dans des régions prohibant leur exploitation", explique le chercheur à l'IRIS.

Ce dernier fait toutefois remarquer que de nouveaux entrants sur le marché sont susceptibles d'offrir de nouvelles sources d'approvisionnement. La Mongolie, avec qui le groupe français Orano a passé un accord d'exploitation, et le Brésil ont récemment lancé des projets importants.

Besoin d'investissement

"Les ressources en uranium sont suffisantes pour permettre à la fois l’utilisation ininterrompue de l’énergie d’origine nucléaire et une expansion importante du secteur jusqu’en 2050 et au-delà", expose l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Mais celle-ci précise qu'il "sera néanmoins primordial d’investir en temps voulu dans de nouvelles techniques de prospection, d’extraction et de traitement de l’uranium pour que ce minerai puisse être disponible sur le marché au moment opportun".

"Le grand coup de pouce viendrait si le carnet de commandes de nouveaux réacteurs nucléaires en Occident commençait à se raffermir", abonde Mahesh Goenka, fondateur du cabinet de conseil commercial et de marché Old Economy, auprès de CNBC.

À terme, les problèmes liés à l'extraction d'uranium pourraient être profondément rebattus par le développement des réacteurs de quatrième génération, à neutrons rapides (RNR). "Ces réacteurs utilisent en effet directement l’isotope U238 dit 'fertile', qui est plus de 100 fois plus abondant que l’uranium 235", précise le site Connaissance des énergies.

"Les RNR pourraient utiliser comme combustible, pendant des millénaires, les milliers de tonnes d’uranium 'appauvri' en uranium 235 provenant des réacteurs de 1ère à 3ème génération, actuellement considérés et stockés comme des déchets", ajoute Connaissances des énergies.

Pour l'heure, cette technologie n'est pas au point et un projet de recherche -nommé Astrid- a été arrêté en France en 2019. Un nouveau vient toutefois d'être relancé. Selon La Tribune, une version industrielle n'est pas attendue avant 2060.

Pierre Lann