Gaz: l'Europe devra encore se serrer la ceinture en 2023

Le plus dur est passé pour l'hiver 2022/2023, mais il faut déjà penser à l'année prochaine. C'est la leçon principale du dernier rapport du think tank bruxellois Bruegel sur l'approvisionnement en gaz européen: selon l'institut, l'Union Européenne doit se fixer pour objectif d'atteindre 90% de ses stocks remplis en octobre 2023 pour anticiper une météo capricieuse ou de nouvelles restrictions sur l'offre de gaz russe et de gaz naturel liquéfié (GNL). Cinq points de plus que la contrainte imposée en France aux opérateurs gaziers; cet automne, sous l'impulsion du ministère de la Transition énergétique, les stocks avaient atteint 99%.
Le continent doit aussi se fixer un minimum de 15% dans la réduction de sa consommation de gaz, "de mars à octobre 2023", pour anticiper les efforts de remplissage et maintenir un prix acceptable. Le tout, en évitant de mettre à contribution les ménages.
Les efforts doivent se poursuivre afin de garantir que la baisse de la demande soit structurelle, et crée le minimum de dommages économiques. Les renouvelables, l'électrification du chauffage ou les dispositifs d'efficacité énergétiques peuvent permettre de limiter ces dégâts liés à la réduction de la demande, qui doit être prise en charge par les industriels."
Bruegel milite aussi pour éviter une guerre des subventions énergétiques, à l'instar des polémiques créées fin 2022 par le bouclier tarifaire français puis le plan allemand de relance, par lesquels Paris et Berlin ont pu être accusés de faire cavaliers seuls. Des tensions à éviter notamment parce que Moscou pourrait être tentée de couper les approvisionnements pour mieux les offrir ensuite à certains pays, pour exercer une pression politique, en Europe de l'Est notamment. Face à ces possibles déstabilisations, une politique d'achat groupée à l'échelle continentale semble la réponse appropriée.
De 7 à 28% d'économies à réaliser
Par-delà les recommandations, Bruegel s'est attelé à un chiffrage de la baisse de la demande nécessaire en fonction de deux facteurs: l'offre de gaz russe (allant d'un maintien aux niveau actuel, à la coupure via l'Ukraine, et à la coupure totale) et la météo.
Dans le meilleur scénario, l'Europe devra baisser sa consommation de 7%, si le temps est plus doux que la moyenne des dix dernières années, et que la Russie maintient son offre; dans le pire des cas, en cas d'hiver froid et de coupure totale - en plus d'un manque de puissance nucléaire et d'un niveau bas des barrages - il faudrait baisser jusqu'à 28% notre consommation de gaz pour passer l'hiver sans coupures. Un scénario intermédiaire (météo moyenne, et coupure du gaz russe transitant par l'Ukraine, mais pas des pipelines passant par la Turquie) exigerait une baisse de 17%.
Le rapport démontre aussi un point crucial pour les stratégies nationales et européenne dans le domaine énergétique: l'interconnection grandissante des réseaux. Elle provient notamment du développement de nouvelles infrastructures, comme le pipeline reliant la Norvège et la Pologne, ou des nouvelles liaisons France/Allemagne ou Slovaquie/Bulgarie/Grèce, ainsi que des unités flottantes de gazéification de GNL installées en Allemagne.
"Par conséquent, les marchés nationaux du gaz sont désormais plus étroitement connectés qu'ils ne l'étaient en 2022. Cela signifie que les variations de l'offre et de la demande dans un pays ont des retombées plus importantes dans l'ensemble de la zone: une consommation plus élevée dans un pays entraînera un prélèvement de gaz dans les pays voisins. Inversement, les réductions de la demande profiteront à l'ensemble de l'UE, quel que soit le lieu où elles se produisent."
Retour du nucléaire français, industries en transition
Parmi les efforts à mettre en place, Bruegel observe que les ménages peuvent contribuer: mais leurs efforts sont strictement corrélés à la météo concernant le chauffage. L'installation beaucoup plus rapide en 2022 de pompes à chaleur (+53% sur un an en Allemagne, par exemple) constitue un progrès.
Concernant les réseaux, l'institut observe la nécessité de mettre en place les énergies renouvelables de façon plus rapide. Mais aussi de restaurer la puissance nucléaire française: un retour à sa moyenne de production des cinq dernières années, à l'inverse de la catastrophique année 2022, permettrait d'économiser 43 TWh de gaz, soit 5% des stocks européens environ.
Côté industriels, il relève que la baisse de la consommation de gaz n'a pas affecté la production à un niveau agrégé, même si certains secteurs ont dû s'adapter plus drastiquement, en changeant d'énergie, et en misant sur des importations pour les produits les plus énergivores. De quoi intensifier les efforts demandés pour l'hiver prochain.
Bataille pour le GNL?
Bruegel s'attarde aussi sur la disponibilité du GNL, usité cet hiver pour compenser les ruptures de gaz du Kremlin. L'offre mondiale devrait augmenter de 5 à 8%, de quoi offrir des marges de manoeuvre. Mais deux inconnues persistent: la demande européenne et les efforts faits pour la réduire; la demande chinoise, après la fin de la politique zéro-covid, qui l'avait fait chuter et permis la redirection des cargos vers l'Europe. Si la demande asiatique remonte, une concurrence rude s'annonce. Et comme le conclut le rapport, "les prix serviront d'arbitres entre les différentes demandes": l'Union Européenne pourrait alors connaître une nouvelle inflation des prix du gaz.