Un an après la crise avec la France, où en est l'Australie dans l'acquisition de ses sous-marins?

555 millions d’euros ou le prix de la réconciliation. En juin dernier, le premier ministre australien Anthony Albanese annonçait le versement d’une compensation financière à Naval Group pour solder le litige qui opposait son pays à l’armateur français après l’affaire des sous-marins. Un "accord important" censé permettre l’ouverture d’"une nouvelle page" dans la relation bilatérale entre Paris et Canberra, avait salué le ministre des Armées, Sébastien Lecornu.
Ce règlement était une première étape nécessaire pour apaiser les tensions entre la France et l’Australie après l’annulation il y a un an jour pour jour d’un contrat à 56 milliards d’euros portant sur la fourniture de 12 sous-marins conventionnels du programme Barracuda. A l’origine de ce revirement: l’ancien Premier ministre australien Scott Morrison qui a finalement fait le choix de rejoindre l’alliance Aukus afin de doter son pays de sous-marins à propulsion nucléaire américains ou britanniques. Sans en informer la France au préalable.
Un "coup dans le dos", avait dénoncé l’ex-ministre des Armées, Jean-Yves Le Drian, avant qu’Emmanuel Macron n’accuse ouvertement Scott Morrison de tromperie et de mensonge devant la presse. Si le traumatisme est encore vivace, l’arrivée d'Anthony Albanese à la tête du gouvernement australien en mai a facilité la reprise du dialogue entre les deux pays ces dernières semaines. Début juillet, le leader travailliste a été reçu à l’Elysée pour une visite visant à "rebâtir la confiance". Il y a deux semaines, c’était au tour de Sébastien Lecornu de recevoir son homologue australien Richard Marles à Brest, où se trouve la base de Marine nationale pour ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). Aujourd'hui, la presse australienne évoque même un possible déplacement d’Emmanuel Macron en Australie en novembre, avant le sommet du G20 à Bali.
L'Australie aura-t-elle vraiment ses sous-marins?
Le changement de dirigeant à la tête de l’Australie ne change rien sur le fond. Le "contrat du siècle" désormais rompu avec la France, c’est sur les Etats-Unis et le Royaume-Uni que Canberra devra compter pour renouveler la flotte vieillissante de la Royal Australian Navy dans le cadre de l’alliance Aukus. Ce partenariat stratégique prévoit l’acquisition d’au moins huit sous-marins à propulsion nucléaire. A l’issue d’une phase de discussions entamée en novembre et qui doit durer 18 mois, le ministre de la Défense devra annoncer si c’est une version britannique ou américaine qui est choisie.
Quelle que soit l’option retenue, les affaires risquent de se corser pour l’Australie qui ne devrait pas recevoir ses premiers sous-marins avant 2050 au mieux, quand le contrat avec la France promettait des premières livraisons en 2030. Coûts de construction en forte hausse, carnets de commandes déjà remplis… Plusieurs rapports dont un du Congrès américain ont semé le doute sur la capacité des industries américaine comme britannique à répondre à la demande australienne en temps et en heure alors qu’elles peinent déjà à satisfaire leurs propres besoins. Ce qu’a d’ailleurs reconnu Richard Marles lui-même.
"Je pense que nous devons prendre au sérieux la possibilité que nous n’obtenions jamais les sous-marins Aukus", a indiqué dans le Guardian Sam Roggeveen, directeur du programme de sécurité internationale de l’Institut Lowy, un think tank indépendant basé à Sydney. Sans aller jusque-là, un retard dans la fourniture des sous-marins serait un véritable coup dur pour l’Australie qui doit faire face à la mise en retraite de ses sous-marins Collins aux alentours des années 2040 et risque donc de ne pas trouver de remplaçants avant cette date. Inimaginable à l’heure où les tensions avec la Chine dans la région indo-pacifique se renforcent.
La France prête à construire quatre sous-marins pour l'Australie?
Pour combler le déficit de capacité entre la mise au rebut des Collins et l’arrivée des nouveaux sous-marins nucléaires américains ou britanniques, l’Australie cherche une alternative. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ayant d’ores et déjà exclu de prêter certains de leurs submersibles, Canberra envisage selon le Guardian de se tourner vers d’autres partenaires. Parmi les options suggérées: des sous-marins d’Espagne, d’Allemagne, de Singapour, d’Israël ou encore de Suède, via le groupe Saab qui a participé à la conception des sous-marins de classe Collins. L’Australian Financial Review affirme qu’un autre pays, plus inattendu, se serait aussi porté candidat: la France.
D’après le quotidien économique de Sydney, c’est lors de la visite d’Anthony Albanese à Paris en juillet dernier qu’Emmanuel Macron aurait proposé de fournir à l’Australie quatre sous-marins à propulsion conventionnelle, lesquels seraient construits ur le site de Naval Group à Cherbourg. Si aucun des deux pays n’a confirmé cette information, les syndicats australiens rejetteraient déjà une solution de ce type, eux qui souhaitent que des sous-marins soient construits non pas à l’étranger mais dans leur pays pour accélérer la formation de main-d’œuvre locale (les 12 sous-marins Barracuda prévus dans le "contrat du siècle" devaient être construits à Adélaïde).
Il faudra attendre mars 2023 pour en savoir davantage sur la stratégie australienne. A cette date, Richard Marles annoncera non seulement le modèle de sous-marins retenu dans le cadre du partenariat Aukus mais également la façon dont son pays entend renforcer sa flotte entre le retrait des Collins et la réception des submersibles américains ou britanniques.