Retards de paiement, des promesses mais pas de commandes... Comme l'Etat, l'armée française vit à crédit

C'est le grand défi industriel des années à venir. La France (comme l'ensemble de l'Europe) se réarme à vitesse grand V. Des annonces d'investissements privés et publics ont été faites depuis le début de l'année pour augmenter les capacités militaires françaises. Mais avec quel argent? Les alertes des industriels de la défense se multiplient ces derniers temps. Selon eux, l'économie de guerre se fait à crédit, les commandes se font attendre et l'absence de visibilité inquiète.
8 milliards d’euros: ce n’est pas une somme pour financer un nouveau projet, ni une promesse d’augmentation de budget… c’est une dette. Une dette que le ministère des Armées devra régler d’ici la fin de l’année pour 8 milliards d’euros d’équipements militaires déjà commandés mais pas encore payés. C’est ce qu’on appelle des arriérés de paiement. Et selon un rapport choc du Sénat, ce report de charges a doublé en deux ans.
"Les commandes militaires n’arrivent pas"
C'est le paradoxe actuel: la France parle d’économie de guerre, mais l’armée, elle, fonctionne à crédit. La Loi de programmation militaire prévoit 413 milliards d’euros jusqu’en 2030. Sur le papier, c’est un effort historique. Sauf que dans les faits, ce budget est déjà largement entamé puisque 99 milliards d'euros vont servir à honorer des engagements anciens. Résultat: il ne reste que très peu d’argent pour les nouvelles commandes.
Et ça commence à se voir. Guillaume Faury, président d’Airbus et du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), l’a dit récemment:
"Les engagements sont là, mais depuis le début de l’année les commandes militaires n’arrivent pas."
Même chose chez Thales qui déplore des commandes en baisse de presque 60% au 1er trimestre. Et si elles arrivent, ce sont les entreprises qui doivent avancer les fonds.
La course est lancée et la France n'est pas en tête
En réalité, quand on creuse, on se rend compte que le problème va bien au-delà d’un simple retard de paiement. Le modèle économique actuel ne fonctionne plus. C’est ce qu’explique notamment Erik Kirstetter, senior partner chez Roland Berger. Selon lui, la France est en train de décrocher sur sa performance industrielle dans la défense. Il y a trop de rigidités, les cycles industriels sont beaucoup trop longs et la bureaucratie ralentit tout. Une fois un programme lancé, il devient pratiquement impossible à réajuster.
"On a longtemps cru, explique le sénateur De Legge, auteur du rapport, que la technologie allait suffire, qu’un missile de précision pouvait remplacer des stocks entiers d’obus ou de bombes, que ça pouvait remplacer la production de masse. L’Ukraine nous montre que ce n’est pas le cas."
Comme le spatial a connu sa révolution avec le "New Space", on s'achemine vers une "New Defense", plus agile, plus rapide. Mais le chantier ne fait que commencer. Seulement c’est aussi une course. Nos voisins accélèrent. L’Allemagne a augmenté son budget de défense de 50%. La Pologne l’a doublé. La France, elle, progresse... mais de seulement 6%.