Guerre en Ukraine: l'Europe confrontée à l'épineuse question de la reconstitution des stocks de munitions

Envoi en Ukraine d'un stock de munitions par l'armée américaine (image d'illustration) - Marco A. Gomez / US AIR FORCE
Déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le vieil adage circule depuis plusieurs mois au sujet de l'aide militaire à l'Ukraine apportée par l'Europe et les Etats-Unis. Elle a permis à Kiev de tenir tête à l'une des plus grandes puissances militaires mondiales. Combien de temps pourrait-elle tenir alors même que le président Zelensky appelle ses alliés à lui envoyer d’urgence du matériel, des armes et des munitions?
Jeudi, le commandant en chef de l'armée ukrainienne, Valéry Zaloujny, s'est dit convaincu que la Russie allait tenter une nouvelle attaque sur Kiev dans les premiers mois de 2023. Le chef de l'Otan, Jens Stoltenberg, prévient que Moscou se prépare à une guerre longue et conseille aux pays de l'Alliance de continuer à fournir des armes jusqu'à ce que le président Poutine réalise qu'il "ne peut pas gagner sur le champ de bataille".
"Nous ne devons pas sous-estimer la Russie. Elle mobilise davantage de forces, elle est prête à subir également de nombreuses pertes et essaie d'avoir accès à davantage d'armes et de munitions", a déclaré Jens Stoltenberg.
Mais après 10 mois de conflit, les moyens des pays impliqués directement ou non dans le conflit ukrainien, s'épuisent. Tous les pays donateurs d'armes à l'Ukraine doivent reconstituer au plus vite les stocks nécessaires à leurs armées qui, si elles étaient confrontées à un conflit de haute intensité, auraient des difficultés à tenir la distance. Reste à savoir comment.
La guerre menée par la Russie contre l'Ukraine a été "un réveil brutal pour beaucoup d'entre nous", a souligné le chef de la diplomatie européenne, l'Espagnol Josep Borrell en admettant que les stocks d'armes de l'Union européenne sont épuisés.
"Nous manquons des capacités dont nous avons besoin pour nous défendre contre un niveau de menace plus élevé" à cause "d'années de sous-investissement", a-t-il affirmé dans une intervention devant l'Agence de Défense Européenne (EDA).
"Je ne veux pas être Cassandre annonçant les mauvaises nouvelles, mais c'est la réalité", a expliqué Josep Borrell.
Dans un récent rapport, titré "Stocks militaires: une assurance-vie en haute intensité?", l'Ifri (Institut français des relations internationales) met en lumière les enjeux d'une situation imprévue, mais qui paradoxalement aurait dû l'être.
"Les forces armées n’ont pu dégager de soutien matériel qu’au prix d’un amoindrissement durable de leurs propres capacités, en l’absence de stocks préservés. Les taux de perte constatés sur le terrain et l’importante consommation de munitions ont également mis en lumière l’insuffisance des parcs opérationnels français, réduits au strict minimum après deux décennies de disette budgétaire", pointe l'auteur du rapport, Léo Péria-Peigné.
En France, cette situation avait été mise en avant peu avant le conflit ukrainien dans un rapport de l'Assemblée nationale qui affirmait déjà qu'en cas de conflit majeur, les stocks de munition des armées françaises ne permettraient de tenir que quelques semaines. La France a joué son rôle en envoyant autant qu'elle le pouvait et se prépare avec les industriels à produire plus pour reconstituer les réserves.
"Le sujet est complexe. Il ne s'agit ni seulement d'une décision de l'Etat, ni seulement d'une volonté des industriels. Il y a aussi la participation des organismes financiers qui ne jouent pas leur rôle au prétexte qu'ils auraient l'impression de participer à la guerre", nous a expliqué un spécialiste de ces questions.
La France va consacrer deux milliards d'euros à la commande de munitions en 2023 pour ses forces armées, soit un tiers de plus que l'année passée a annoncé en octobre Sébastien Lecornu, ministre des Armées, lors de la présentation du projet de budget 2023 devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale.
Les commandes porteront notamment sur 200 missiles antichars MMP (missiles moyenne portée), 100 missiles anti-aériens SAMP-T (Sol-Air Moyenne Portée de nouvelle génération), une centaine de missiles air-air Mica équipant les Rafale et Mirage 2000, près de 700 bombes air-sol, 10.000 obus de 155 mm pour les canons Caesar et plus de 50 millions de munitions de petit calibre, a détaillé le ministère.
Ces quantités pourraient-elles permettre de tenir si la France était engagée dans un conflit de haute intensité? Pour Léo Péria-Peigné, comparaison n'est pas raison.
"La France n’est pas l’Ukraine. Sa situation géographique, le maintien d’une force de dissuasion et son appartenance à l’OTAN la préservent d’une invasion à grande échelle sur le territoire national", rappelle cet expert qui alerte le risque "d'adopter une stratégie de stockage uniquement fondée sur les retours d’expérience ukrainiens". Selon lui, ce "serait un non-sens".
Une analyse partagée par l'Etat Major des Armées qui s'il est conscient de la nécessité de produire plus d'armes et de munitions, met en garde sur les scénarios catastrophes.
