En cas d'échec du programme Scaf, la France dispose de "toutes les compétences" techniques pour fabriquer un avion de combat seule

Elle serait bien capable de faire cavalier seul. Face au blocage des discussions avec l'Allemagne et l'Espagne sur le programme d'avion de combat européen (Scaf), la France s'est dite mercredi prête à développer "seule" un futur appareil, laissant entrevoir un possible échec du plus gros projet de coopération de défense en Europe.
"Si l'on ne parvient effectivement pas à trouver d'accord sur une réorganisation du programme, la France saura faire un avion de chasse seule, ce qui ne veut pas dire en franco-français", a affirmé un responsable français, s'exprimant sous couvert d'anonymat à un moment où la France attend la nomination d'un nouveau ministre des Armées.
"La France dispose aujourd'hui en propre, de manière souveraine, de toute l'expertise, des compétences, du tissu industriel et du réseau européen pour être en capacité de développer, de produire, puis de maintenir cet avion", a-t-il ajouté.
Ces considérations répondent, selon cette source, au "besoin impérieux" de respecter le calendrier prévu et d'assurer la mission de dissuasion nucléaire française, actuellement menée avec les avions Rafale.
Cette prise de position rejoint celle exprimée la veille par le constructeur de cet appareil, Dassault Aviation, chef de file industriel du projet pour la France. "On sait faire de A jusqu'à Z, on l'a démontré depuis plus de 70 ans", a assuré son patron Éric Trappier, qui a dit n'avoir à ce stade "pas trouvé de solution" avec Airbus, représentant les intérêts de Berlin et Madrid.
Berlin et Madrid sont particulièrement exaspérés par la position de Dassault qui réclame plus d'autonomie dans son rôle de maître d'œuvre industriel, pour lequel il a été désigné par les trois États. L'industriel réclame notamment de pouvoir choisir ses sous-traitants, quitte à modifier la charge de travail d'un tiers prévue pour les industriels de chaque pays.
Le patron de Dassault se dit prêt à travailler avec les Allemands, mais réclame de disposer de "la capacité de 'driver' le programme".
"Dans la gouvernance, je n'accepterai pas qu'on soit trois autour de la table pour décider de toute la technique qui sera nécessaire pour faire voler un avion. Je souhaite que ce soit le 'best athlete' qui dirige", a-t-il déclaré lors d'un échange avec des journalistes en marge de l'inauguration d'une usine à Cergy.
Il réfute les critiques: "ça ne veut pas dire qu'on fera tout, loin s'en faut, on fera avec les autres, comme on a fait avec le nEUROn" – en référence au programme de démonstrateur de drone de combat qui avait été réalisé en partenariat avec d'autres pays européens (France, Italie, Suède, Grèce, Espagne, Suisse). "Je ne comprends pas pourquoi ça ne marche pas aujourd'hui."
"Situation pas satisfaisante"
Lancé en 2017 par Angela Merkel et Emmanuel Macron comme un étendard de la coopération de défense entre les deux pays, avant d'être rejoint par l'Espagne, le projet de Système de combat aérien futur (Scaf) vise à remplacer à l'horizon 2040 les Rafale français et Eurofighter allemands et espagnols.
Mais ce programme industriel, évalué par les experts à près de 100 milliards d'euros, est ponctué de tensions entre industriels de chaque pays.
Celles-ci s'exacerbent alors que le projet doit entrer dans une nouvelle phase en 2026 avec la construction d'un démonstrateur, sorte de pré-prototype destiné à évaluer les technologies retenues et qui doit voler à l'horizon 2029. Elle requiert près de cinq milliards d'euros d'investissement.
Lors d'une visite à Madrid la semaine dernière, le chancelier allemand Friedrich Merz a déclaré que l'Allemagne et l'Espagne voulaient "essayer d'arriver à une solution d'ici fin 2025".
Une réunion entre ministres de la Défense des trois pays est prévue en octobre pour avancer.
"Nous partageons le même avis: la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Nous n'avançons pas dans ce projet", a déclaré le chancelier allemand aux côtés de son homologue espagnol Pedro Sanchez.
Pour le responsable français, "aujourd'hui, personne n'a réussi à démontrer que l'organisation actuelle du Scaf permettait de développer l'avion qui répondait aux besoins impérieux de la France dans les temps".
A l'instar de Dassault, ce responsable envisage aussi une part plus importante de travail pour la France sur le pilier de l'avion de combat. Quitte à en abandonner à Berlin et Madrid sur d'autres parties du programme, comme les drones accompagnateurs ou le "cloud de combat", le système informatique qui reliera tous les éléments entre eux.
"Dans le programme Scaf, il n'y a pas que l'avion. Il y a énormément de travail et du travail pour tous", a plaidé le responsable français, selon qui il faut "trouver des modalités qui permettraient que ce programme suive le calendrier tel qu'il avait été imaginé".
En cas d'échec du Scaf, la France devrait financer seule le développement de l'avion, dit de sixième génération. Nombre d'observateurs doutent qu'elle en ait les moyens alors que ses finances publiques sont au plus mal et qu'elle doit déjà financer sa remontée en puissance militaire face à la menace posée par la Russie.
Mais pour Éric Trappier, "faire un avion de combat et faire une arme, c'est une volonté politique".