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Défense

Des F-35 et des F-16 pour détruire des drones à base de polystyrène: après l'incursion russe en Pologne, les experts pensent que l'Otan n'est pas prête

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Au lendemain de l'interception de drones présumés russes dans l'espace aérien de la Pologne, l'Otan se veut rassurante sur les capacités de défense aérienne à l'Est de l'Europe, mais certains experts sont plus dubitatifs.

C'est l'épreuve du feu pour l'Otan. Après l'interception de drones militaires que l'on présume lancés par la Russie dans l'espace aérien polonais dans la nuit de mardi à mercredi, les pays de l'Otan ont adressé un message se voulant rassurant à leurs ressortissants en assurant que l'opération s'était parfaitement déroulée.

L'incident représente à ce jour le débordement le plus grave de la guerre en Ukraine pour l'Alliance atlantique, car c'est la première fois qu'elle fait décoller des avions pour intercepter des drones hostiles, bien que la Pologne ait dénoncé d'autres incursions de drones ou de missiles russes visant l'Ukraine par le passé.

"Nos défenses aériennes ont été activées et ont assuré avec succès la défense du territoire de l'Otan, comme elles sont conçues pour le faire", a déclaré Mark Rutte, secrétaire général de l'Otan.

"La réaction rapide de l'Otan face aux drones russes qui ont violé l'espace aérien polonais pendant la nuit est ferme. Bravo aux intervenants, c'est ainsi que nous travaillons", a renchéri l'amiral Giuseppe Cavo Dragone, président du comité militaire de l'Alliance.

L'Otan est-elle prête pour une guerre des drones?

Les experts sont moins convaincus et estiment que l'incident a soulevé d'importantes questions pour l'Otan, comme le fait de savoir si l'Alliance peut tolérer des incursions de drones dans l'espace aérien d'un de ses membres, ou si ces derniers sont correctement équipés pour faire face à une telle menace.

"C'est une très bonne illustration du fait que nous devons non seulement être vigilants, mais aussi avoir des réactions plus efficaces", a déclaré Peter Bator, ancien ambassadeur slovaque auprès de l'Otan.

Bien que le caractère délibéré de l'incursion ne soit pas établi avec certitude - la Pologne est pour sa part convaincue que c'est le cas -, Peter Bator juge "inacceptable" que des drones aient pu pénétrer dans l'espace aérien de l'Otan, car cela montre que l'Alliance a dû réagir à une menace au lieu de la dissuader, ce qui est théoriquement sa mission.

Le responsable slovaque pose la question en ces termes : aurait-il été acceptable que des troupes étrangères puissent pénétrer sur le territoire de l'Otan comme les drones ont pu le faire? "Il n'y a pas de grande différence entre les drones et des soldats", souligne-t-il.

A court terme, Peter Bator estime que l'Otan pourrait s'entendre avec l'Ukraine pour abattre dans l'espace aérien ukrainien les drones russes susceptibles de constituer une menace pour son propre territoire.

L'Alliance fonctionnant par consensus, il semble cependant très peu probable qu'une décision puisse être prise en ce sens, plusieurs Etats membres étant réticents à l'idée de tomber dans un engrenage, voire étant plus proches des positions de Moscou, comme la Hongrie.

Lors de précédentes incursions, plus mineures, de drones ou de débris provenant de la guerre en Ukraine - dans des pays tels que la Pologne, la Lettonie et la Roumanie - l'Alliance a choisi de ne pas réagir militairement.

Moscou a nié toute responsabilité dans ce dernier incident. Le ministère russe de la Défense a déclaré que ses drones avaient mené une attaque d'envergure contre des installations militaires dans l'ouest de l'Ukraine, mais qu'ils n'avaient pas prévu de frapper des cibles en Pologne.

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Une réponse coûteuse à des drones bon marché

L'incident a également soulevé la question de savoir si l'Alliance, fondée il y a plus de 70 ans pendant la guerre froide, dispose d'une structure militaire adéquate et rentable pour faire face à la menace relativement moderne des drones.

Un porte-parole militaire polonais a déclaré qu'une grande partie des drones étaient de type Gerbera. Il s'agit d'un "drone à voilure fixe extrêmement bon marché fabriqué à partir de polystyrène et ayant une portée de plusieurs centaines de kilomètres", précise le chercheur Fabian Hinz, de l'Institut international d'études stratégiques.

La réponse de l'Otan a fait appel à des armements beaucoup plus coûteux, comme des avions de chasse F-35 et F-16, des hélicoptères Mi-24, Mi-17 et Black Hawk, ainsi que des systèmes de défense antiaérienne Patriot, selon des responsables.

Les armées polonaise, néerlandaise, italienne et allemande ont participé à l'opération. Cet arsenal multinational aurait largement suffi à faire face à l'incursion de 19 drones si Varsovie avait considéré qu'ils constituaient une menace - certains ont d'ailleurs été abattus.

Mais la guerre en Ukraine montre que l'on est entré dans l'ère de la guerre des drones à haute intensité, avec des attaques pouvant concentrer des centaines de drones kamikazes en quelques heures. Cela pose un problème à certains des systèmes de défense aérienne plus traditionnels de l'Otan, qui ont été conçus pour protéger contre les missiles et les avions.

"Les systèmes de défense aérienne occidentaux n'ont pas été conçus pour faire face à des systèmes de drones peu coûteux utilisés à grande échelle", souligne Fabian Hinz. "Les abattre à l'aide d'avions de chasse ou d'hélicoptères est possible, comme cela a été démontré, mais cela nécessite un rythme d'opérations élevé si la menace est continue."

Phillips P. O'Brien, professeur d'études stratégiques à l'université de St Andrews, en Écosse, rappelle que l'incursion en Pologne est "une piqûre d'épingle comparée à ce que l'Ukraine vit chaque nuit."

"(Les drones) auraient dû être identifiés comme des menaces potentielles bien plus tôt et les préparatifs de défense auraient dû être faits suffisamment à l'avance", estime-t-il dans un message publié sur la plateforme d'information Substack.

"Cela aurait dû être un jeu d'enfant pour l'Otan. Que Dieu leur vienne en aide s'ils sont confrontés (comme l'Ukraine) à 600 drones et missiles en une seule nuit."

Interrogé sur la nécessité pour l'Otan de mieux se protéger contre les drones, Mark Rutte a répondu : "Bien sûr, nous devons toujours nous assurer que nous avons une longueur d'avance. Mais je pense que la nuit dernière a montré que nous sommes capables de défendre chaque centimètre du territoire de l'Otan."

HC avec Reuters