Chasseurs F-5, défense anti-missiles... Malgré sa volonté d'embargo sur les armes israéliennes, l'Espagne a dans les faits beaucoup de mal à s'en passer

Le Premier ministre socialiste espagnol Pedro Sanchez à Madrid le 12 juin 2025. - OSCAR DEL POZO / AFP
Plus facile à dire qu'à faire. En première ligne dans la critique de l'action menée par Israël à Gaza, le gouvernement espagnol a annoncé un embargo sur les contrats d'armements avec l'État hébreu, mais mettre en œuvre la "déconnexion" totale annoncée n'est pas si simple.
Le 8 septembre, le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez a annoncé plusieurs mesures destinées à "mettre un terme au génocide à Gaza", dont l'une doit "consolider juridiquement" l'embargo sur les ventes et les achats d'armes à Israël, appliqué "de facto depuis octobre 2023".
Le décret précisant les termes de cet embargo, un temps retardé, doit être approuvé en Conseil des ministres mardi.
Avant même cette concrétisation formelle, le gouvernement de gauche espagnol a déjà annulé l'achat de lance-roquettes de conception israélienne à hauteur de 700 millions d'euros, ou l'acquisition de 168 lanceurs de missiles antichars, qui devaient être fabriqués en Espagne sous licence d'une entreprise israélienne pour 287,5 millions d'euros.
Mais la mise en œuvre de l'"objectif zéro dépendance vis-à-vis d'Israël" avec un "plan de déconnexion", comme le promettait en juin la secrétaire d'Etat à la Défense Amparo Valcarce, reste compliqué à mettre en place.
"En pleine révolution"
"Le sujet est sensible", confirme une source militaire à l'AFP: "Il y a une différence entre avoir l'intention de mettre une fin radicale (au commerce avec Israël), et le faire réellement". "Toutes ces décisions et annonces dans la presse ont des répercussions", insiste cette source qui assène: "Nous sommes en pleine révolution".
Munitions, radios dans les chars de combat, blindés, lance-missiles... Le changement de paradigme concerne un vaste champ d'équipements et de systèmes, énumérés ces derniers jours dans la presse espagnole.
Le quotidien El Pais évoquait ainsi récemment les difficultés liées aux avions de chasse F-5 utilisés pour former les pilotes à l'Académie de l'Air, où vient d'entrer la princesse Leonor, héritière du trône d'Espagne.
Ces anciens appareils de conception américaine ont été modernisés, notamment leur électronique, par l'entreprise IAI (Israel Aerospace Industries), qui se charge également de l'entretien. La question de leur avenir se pose clairement avec la volonté du gouvernement de couper tous les ponts, y compris technologiques, avec Israël.
"Ce que réalisaient les industries israéliennes est désormais pris en charge par les industries espagnoles", a pourtant récemment assuré la ministre de la Défense Margarita Robles devant le Parlement, assurant "miser sur l'industrie espagnole, sur l'industrie européenne".
"Nous avons cessé d'envoyer du matériel ou d'acheter du matériel à Israël. Il est vrai qu'il restait quelques détails à régler du point de vue technologique, mais tout cela a déjà été rectifié avant l'été, juste à la fin du mois de juillet", a aussi affirmé la ministre, dont les services n'ont pas souhaité préciser à l'AFP quels matériels allaient être affectés par le prochain décret.
L'assurance de la ministre ne convainc pas tous les spécialistes, qui pointent notamment les délais incompressibles pour remplacer les équipements dont les contrats d'acquisition ont été annulés.
"Menace russe"
"Il n'existe pas de technologies espagnoles disponibles. Il faudrait développer, investir en recherche et développement pour combler ce manque", avance Felix Arteaga, spécialiste des questions de défense à l'institut Real Elcano de Madrid. D'autant que si les autres technologies disponibles s'avéraient être américaines, ce serait remplacer une dépendance par une autre, sans "autonomie stratégique".
Il y a un "dilemme entre les besoins militaires liés à la menace russe - avec le développement de systèmes de défense antimissile de dernière génération, où les Israéliens sont très en avance - et une démarche plus politique, qui est liée à la situation de Gaza", résume le chercheur David Khalfa de la fondation Jean-Jaurès, également co-président du centre Atlantic Middle East Forum.
"L'avantage des Israéliens, c'est que ces technologies sont testées sur le terrain. Il y a peu de pays qui sont capables de sanctuariser leur espace aérien", poursuit David Khalfa, évoquant un décalage entre "l'éthique la plus élémentaire à l'égard de ce qui se passe à Gaza, et les réalités géopolitiques".
Les alternatives? Elles ne sont pas nombreuses et inconcevables selon lui: seuls les Russes, les Chinois ou les Américains ont aujourd'hui ce savoir-faire.
Or, "on voit bien ce qui se passe avec l'Estonie, avec la Pologne, avec l'incursion russe qui teste très clairement l'OTAN, il y a une fébrilité européenne", conclut-il.