Chars, avions, obus... L'Allemagne peine à se réarmer aussi vite qu'il le faudrait

Le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius (à droite) lors d'un exercice de l'OTAN en 2023 en Lituanie. - TOBIAS SCHWARZ / AFP
On ne rattrape pas en trois ans le retard pris pendant plusieurs décennies. En tout cas, l'Allemagne n'y est pas parvenue comme le pointe deux rapports émis par des instituts allemands le Kiel Institute et le Dezernat Zukunft.
La sentence du Kiel Institute est sans appel: l'Allemagne se réarme trop lentement pour faire face à la Russie qui, selon Guntram Wolff, chercheur à l'Institut de Kiel et auteur principal du rapport, devient "une menace de plus en plus grande pour la sécurité de l'OTAN". Ce chercheur est aussi l'un des experts de l'institut Brugel et a récemment rédigé un "mémo" adressé au futur commissaire à la Défense, poste confié ce mardi au Lituanien Andrius Kubilius.
Une économie de guerre lente au démarrage
Le rapport fait le compte de la chute des stocks entre 1992 et 2021. Lors de cette période, le nombre de chars de la Bundeswehr est passé de 6684 à 339. Dans la même période, les obusiers de 3214 à 121 et les avions de combat de 553 à 226. La guerre en Ukraine, qui a démarré le 24 février 2022 n'a pas conduit l'Allemagne à se mettre au plus vite en mode économie de guerre, pointe le rapport. Dans les autres pays analysés dans le rapport (France, Royaume-Uni et Pologne), le recul n'est pas aussi important.
En 30 ans, Berlin aurait ainsi réussi à économiser environ 500 milliards d'euros au détriment de ses dépenses militaires allemandes, considérées comme "largement insuffisantes pour répondre au nouveau défi stratégique posé par la Russie".
En 2022, soit quelques jours après l'attaque russe, le chancelier allemand Olaf Scholz avait bien annoncé un fonds de 100 milliards d'euros pour combler les nombreuses lacunes de la Bundeswehr.
Un siècle pour revenir au niveau
Il aura fallu attendre 2023, "soit une bonne année après l’attaque russe contre l’Ukraine", pour que l’Allemagne commence à augmenter ses dépenses de défense, dépassant même l’objectif de l’OTAN de 2 % du PIB. Selon Guntram Wolff, "il faudrait à l'Allemagne jusqu'à un siècle pour ramener son inventaire militaire au niveau d'il y a vingt ans".
Dans le détail, en tenant compte du rythme actuel d'acquisition, l’Allemagne mettra 15 ans pour rétablir les capacités de 2004 pour les avions de combat, quarante ans pour les chars et cent ans pour les obusiers.
Un calendrier inquiétant au regard de la Russie qui a fortement augmenté sa capacité de production d'armements. Moscou serait "désormais en mesure de produire en six mois autant d'armes que l'ensemble des forces armées allemandes en service", avance l'auteur du rapport.
Cette inquiétude est partagée en Allemagne par le think tank Dezernat Zukunft. Cette organisation estime que Berlin doit augmenter son budget défense de 100 milliards d'euros pour rattraper son retard et dépasser le seuil de 2% de son PIB à l'armement. Il y a seulement un an, l'Allemagne était loin de cet objectif avec seulement 1,49% de son PIB qui était consacré à la défense.
Maintenir l'objectif des 2% de l'Otan
Malgré l'accord budgétaire restreint conclu en juin dernier du fait de la limite constitutionnelle d’emprunt de l’Allemagne, le budget de la défense augmentera cette année de 1,2 milliard d’euros cette année, rapportait le site Euractive. Un montant jugé insuffisant par les partenaires de la coalition, le SPD de centre gauche, les Verts et le FDP libéral. Le ministre de la Défense Boris Pistorius réclamait un supplément de 6,7 milliards d’euros pour 2025.
"C’est la procédure budgétaire normale", a expliqué le ministre des Finances Christian Lindner (FDP/Renew) en signalant que si ce montant est inférieur aux demandes, il est supérieur à ce qui était prévu.
L'avenir de cette industrie stratégique est sombre. Le fonds défense de 100 milliards d'euros annoncé en 2022 sera épuisé en 2028. Pour maintenir l'objectif des 2% de l'Otan, Berlin devra augmenter son budget de 52 milliards à 80 milliards d'euros en 2024. Pour la presse allemande, cette situation n'est ni plus ni moins qu'un "échec de l'État".
