18 pays réclament 127 milliards d'euros de prêts à l'UE pour acheter de l'armement: cet argent va-t-il servir à acheter des armes américaines?

La Commission européenne annonce que 18 pays ont manifesté leur intérêt pour bénéficier de prêts à hauteur de 127 milliards d'euros par le biais de l'instrument "Safe", pour renforcer leurs capacités de défense.
La Commission européenne indique que cette manifestation d'intérêt préliminaire va permettre de "préparer des levées de fonds sur les marchés des capitaux". Les pays doivent cependant encore déposer des demandes formelles, une procédure ouverte jusqu'au 30 novembre.
Les 18 pays concernés sont la Belgique, la Bulgarie, la Tchéquie, l'Estonie, la Grèce, l'Espagne, la France, la Croatie, l'Italie, Chypre, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie et la Finlande.
"Nous restons déterminés à soutenir les efforts déployés par les pays de l'UE pour renforcer la sécurité européenne", a déclaré le commissaire européen à la Défense Andrius Kubilius, cité dans un communiqué de la Commission européenne.
Le programme "Agir pour la sécurité pour l'Europe - Safe" fait partie de l'arsenal européen pour favoriser les achats conjoints d'armement. Ce dispositif prévoit de pouvoir lever "jusqu'à 150 milliards d'euros sur les marchés de capitaux", afin d'accélérer et de faciliter les investissements de défense.
"Safe" est intégré au plan plus vaste présenté en mars par la Commission européenne: ReArm Europe vise une augmentation des dépenses de défense – jusqu'à 800 milliards d'euros – d'ici à 2030.
Soutenir le besoin européen… face au bulldozer américain
Alors que l'objectif prioritaire est de soutenir l'industrie de défense européenne, dans une logique de souveraineté et de s'affranchir autant que faire se peut de la dépendance vis-à-vis du marché américain, il n'est cependant pas certain que ces mesures suffisent à flécher les achats uniquement vers des équipements produits en Europe.
Comme l'indique BFM Bourse, "il est probable qu'une partie non négligeable sinon importante de ces nouvelles dépenses bénéficient aux États-Unis". La Maison Blanche indique d'ailleurs dans son communiqué à la suite de l'accord signé avec l'Europe que cette dernière "a accepté d'acheter des quantités importantes d'équipements militaires américains", sans plus de précisions.
Selon le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), les exportations américaines vers l'Europe ont plus que triplé sur la période 2020-2024 par rapport à la période 2015-2019. Le Sipri précise que c'est la première fois en deux décennies que la plus grande part de l'export d'armement américain est destiné à l'Europe, passant de 13% (2015-2019) à 35% (2020-2024).
Cependant, des analystes interrogés par CNBC indiquent que les récentes annonces ne seront pas de mesure à faire du tort inconsidéré à l'industrie de défense européenne sur le long terme, qui devrait rester le premier bénéficiaire des commandes des budgets nationaux – qui vont augmenter dans les années à venir, à la suite des décisions prises lors du Sommet de l'Otan en juin dernier.
Adapter l'outil industriel
Parmi les défis auxquels font face les industriels de l'armement, l'adaptation de l'outil de production à la demande. Un rapport publié fin juin par une filiale de la Caisse des dépôts pointait le manque de moyens de la base industrielle et technologique de défense française (BITD) pour faire face à la hausse des besoins, elle-même induite par l'augmentation sans précédent des budgets – qui doit porter à 3,5% du PIB les dépenses de défense et 1,5% du PIB des dépenses "annexes" (infrastructures…),
Selon ce document, la BITD n'est "pas calibrée pour faire face à un tel saut d'échelle", un constat partagé à l'échelle européenne par l'un des analystes interrogés par CNBC, qui affirme que "toutes les dépenses ne pourront pas être honorées par des entreprises européennes" et qu'un certain nombre d'achats seront nécessairement réalisés auprès d'industriels américains.