"Plus c'est gros, plus c'est rentable": comment les croisières battent des records de fréquentation

Que le Covid semble loin. Il y a un peu plus de quatre ans, c'était la psychose dans le bateau de croisière Diamond Princess au large du Japon. 712 personnes étaient alors contaminées en ce mois de février 2020 par le virus SARS-CoV-2 sur les 3.700 passagers, pour un total de 14 décès.
Dans la foulée des confinements et des restrictions sanitaires, la fréquentation des bateaux de croisières s'était effondrée. De 29,7 millions de passagers en 2019 (alors un record), le nombre de passagers était tombé à 5,8 millions en 2020 puis 4,8 millions l'année suivante.
Avec la préoccupation grandissante pour les questions environnementales, le secteur allait-il se relever d'un tel cataclysme? Le doute n'aura pas duré très longtemps. Dès 2022, et malgré des restrictions encore dans de nombreux pays d'Asie, plus de 20 millions de passagers embarquaient sur l'année. Et dès 2023, de nouveaux records étaient battus. L'année dernière ce sont 31,7 millions de personnes qui ont fait une croisière (7% de plus qu'en 2019).
Et cette année le record devrait être pulvérisé. La Clia, l'Association internationale des compagnies de croisières, estime à 35,7 millions le nombre total de passagers en 2024, revoyant sa précédente prévision de mars dernier à la hausse de un million. Une croissance de 17% sur un an, particulièrement forte en Amérique du nord mais aussi en Europe (+15%).
Rajeunissement des passagers
Malgré la guerre au Proche-Orient, la croissance atone dans les économies européennes, l'inflation et les tensions sur le pouvoir d'achat, la croisière est en plein essor. Même en France, qui reste un petit marché à l'échelle européenne (580.000 passagers en 2023 contre plus de deux millions en Allemagne et au Royaume-Uni), le voyage en bateau gagne des adeptes.
"À Marseille, qui représente 60% des départs depuis la France, la croissance est à deux chiffres", indique dans Les Échos le président de la Clia France, Erminio Eschena.
Le marché nord américain reste de loin le plus développé avec 18 millions de passagers (+17,5% en 2023) contre 8,2 millions en Europe. Mais de part et d'autre de l'Atlantique, l'engouement est le même.
D'abord avec un rajeunissement des passagers. L'âge moyen du croisiériste en Europe est de 49 ans, contre 52 avant le Covid. Au niveau mondial, il a baissé à 47 ans en 2023. Surtout c'est un secteur qui arrive à attirer de nouveaux clients. 27% des passagers faisaient l'année dernière leur première croisière.
Marie-Caroline Laurent, la directrice générale Europe de Clia, attribue le succès des croisières à "des produits plus variés" qu'auparavant, avec le développement des croisières de luxe et d'aventure, mais aussi à une gamme de navires de tailles différentes et une "offre de prix qui reste raisonnable pour des vacances en famille".
Alors que les prix dans l'hôtellerie, la restauration ou le transport aérien ont enflé ces dernières années, celui des croisières a retrouvé son niveau d'avant-Covid. Résultat, le public "familial" progresse et 28% des passagers sont partis avec des représentants d'au moins trois générations.
"Le Titanic? Un bateau de pêche à côté"
Les croisiéristes ont misé sur des navires de plus en plus gros pour réalisé des économies d'échelle. "Plus c'est gros, plus c'est rentable, résume François Cadiou, le dirigeant de l'antenne parisienne du courtier maritime BRS Brokers dans Les Echos. On parle beaucoup de la course au gigantisme dans la croisière mais les plus grands paquebots sont longs d'un peu plus de 360 mètres, loin encore des 400 mètres pour les plus grands porte-conteneurs."
Il n'empêche que si les plus grands navires de croisière restent encore inférieurs aux porte-conteneurs géants, ce n'est peut-être qu'une question de temps avant qu'ils ne les rattrapent. En janvier 2024, le plus grand navire jamais construit, l'Icon of the Seas, a été mis à l'eau. Cette ville flottante comprend 40 restaurants, sept piscines et peut accueillir 7.600 passagers. Ce géant maritime est plus long que 15 baleines bleues et cinq fois plus grand que le Titanic.

Les plus grands navires actuels sont aujourd'hui deux fois plus imposant qu'en 2000, rappelle l'organisation européenne Transport et Environnement qui projette qu'en 2050 la barre des 10.000 passagers pourrait être atteinte avec une jauge brute de 345.000 GT, soit près de huit fois le Titanic.
Des navires plus grands qui attirent de plus en plus de croisiéristes qui en retour encouragent la construction de navires plus grands. La part de paquebots capables d'emporter plus de 4.000 passagers devrait passer de 12 à 15% d'ici 2028, selon la Clia. La part de ceux de moins de 1.000 devrait quant à elle légèrement baisser.
Une dynamique commerciale d'une redoutable efficacité (la construction de nouveaux navires représente 47 milliards d'euros d'investissement en Europe, dont 8,7 milliards en France) qui inquiète les associations environnementales.
"Les navires de croisière actuels sont de véritables monstres des mers, des 'Cruisezillas'. Ils font passer le Titanic pour un petit navire de pêche, affirme Fanny Pointet, responsable du Transport maritime à T&E France.
"Jusqu'où cette démesure ira-t-elle? Dans le secteur du tourisme, l’activité des croisières est celle qui connaît la croissance la plus rapide et ses émissions sont en train de devenir incontrôlables", note-t-elle.
Conscient des critiques, le secteur tente de verdir sa flotte avec des carburants alternatifs. Même si pour l'heure, la part des paquebots moins émetteurs reste marginale. Moins de 15 navires (sur les 350 à l'échelle de la planète) sont actuellement propulsés au GNL. D'ici quatre ans, ce sont 38 nouveaux qui devraient entrer en fonction et sept capable de fonctionner au méthanol vert.
