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"Ça participe de notre soft power": les séries françaises à la conquête du monde

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Portée par l'essor des plateformes de streaming, la France exporte de mieux en mieux ses séries à l'international. Quand certaines misent sur Paris à l'écran, une valeur sûre, d'autres font le choix de la variété des formats et des genres. Et ça paye.

Le local n'a jamais été aussi international. Avec la montée en puissance inexorable des plateformes de streaming, les séries voyagent comme jamais auparavant à travers le monde, s'ouvrant à des publics jusqu'ici fermés. Bien sûr, les Etats-Unis en profitent, mais en proportion, ce sont les autres pays producteurs de séries qui bénéficient le plus de cette ouverture.

Et dans la course au soft power sériel, la France est très bien placée, désormais 7e pays le mieux représenté dans le monde en matière de contenus audiovisuels, avec plus de 200 millions d'euros de ventes en 2023 (troisième meilleure année historique). "Ça participe de l'image de la France dans le monde, de son soft power", souligne Sarah Hemar, directrice de l'audiovisuel d'Unifrance, l'organisme qui accompagne les films et les séries françaises dans le monde.

L'Europe incontournable pour les ventes, les Etats-Unis en progression

Les pays les plus friands de séries françaises sont nos voisins les plus proches. "L’Europe de l’ouest est notre premier marché, notamment pour la fiction où ce territoire représente 50% des achats", explique Sarah Hemar. "Le cœur de la distribution internationale pour nous c’est l’Europe. Les marchés-clés sont l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne", abonde Nadia Chevallard.

"Certaines séries voyagent beaucoup plus loin mais ce sont les partenariats qu’on a noués en Europe qui sont fondateurs pour le succès d’une franchise à l’international."
Plusieurs séries produites par Studio TF1 ont connu un joli succès à l'international, comme "Cat's Eyes" ou "Marie-Antoinette".
Plusieurs séries produites par Studio TF1 ont connu un joli succès à l'international, comme "Cat's Eyes" ou "Marie-Antoinette". © Clément Lesaffre/BFM Business

Avec une part de marché de 15%, en progression de cinq points sur un an, les Etats-Unis sont aussi un marché essentiel pour les séries françaises. "Compte tenu de la concurrence en termes de production là-bas, on se positionne très bien", se réjouit Sarah Hemar, qui rappelle que la France comptait quatre nominations aux International Emmy Awards en 2023, et sept l’an dernier. Deux séries y ont même été récompensées ces dernières années: Des gens bien ordinaires et Les gouttes de Dieu.

Cette ouverture aux contenus français doit beaucoup aux plateformes de streaming. "Elles ont changé l'environnement de l'audiovisuel, ça a créé une formidable opportunité pour tous les pays et la France fait partie de ceux qui en profitent", selon Sarah Hemar. Les succès de Lupin pour la France mais aussi La Casa de Papel pour l'Espagne et Squid Game pour la Corée du Sud, servent de modèles.

"Maintenant, on sait que le public est prêt à regarder des séries venues de territoires différents, en langue originale, sous-titrée et pas doublée."

Pour la directrice de l'audiovisuel d'Unifrance, les plateformes ont aussi "fait monter le niveau d’ambition des séries", poussant les chaînes de télévision à revoir leurs standards. "Tous les diffuseurs ont une 'production value' bien plus haute aujourd’hui."

Les séries françaises varient de plus en plus genres et formats

Confirmation visuelle de ces tendances mardi 25 mars au festival Series Mania, à Lille, lors du "Coming next from France", une conférence où étaient présentées cinq séries françaises au fort potentiel d'achat à l'étranger: la (grande) salle était pleine à craquer de producteurs, diffuseurs et distributeurs du monde entier.

"En France, on très fort pour les séries policières, notamment les séries policères légères et avec des héroïnes fortes. Mais c’est un genre porteur partout dans le monde", remarque Sarah Hemar, directrice de l'audiovisuel d'Unifrance, l'organisme qui accompagne les films et les séries françaises dans le monde. Deux exemples récents de cartons à l'international dans ce format: Candice Renoir (France 2) et surtout HPI, la série phare de TF1 diffusée dans plus de 100 pays.

"Derrière cette locomotive, on a une variété de récits, de sujets et de points de vue. La création française est reconnue pour cette diversité, les acheteurs viennent chercher cette marque de fabrique."

Une diversité déjà très marquée dans la sélection française 2025 de Series Mania, avec des séries de genre (Anaon, série fantastique dans la veine de Stranger Things, ainsi que La famille Rose, comédie horrifique sur une famille de cannibales) mais également des remakes de séries anglaises qui poussent les portes de récits différents, avec Clean, série de M6 dans laquelle une femme de ménage en galère monte une combine avec un courtier en bourse, ou encore Ghosts: Fantômes en héritage, comédie qui voit des fantômes confrontés aux héritiers d'une vieille bâtisse abandonnée.

La France est-elle un grand pays de séries ?
La France est-elle un grand pays de séries ?
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Les séries poussées par Unifrance lors du Coming Next from France illustrent aussi cette envie de varier les formats et les sujets: Bistronomia, série culinaire qui rappelleThe Bear; Factice, avec sa mère de famille reine de la fabrication de faux papiers; Zonz, comédie dans l'univers carcéral; et l'intrigante Je sais pas, histoire d'une disparition dérangeante avec une petite fille angoissante.

Paris, l'as dans la manche des séries françaises

Si les séries françaises se vendent aussi bien à l'étranger, c'est aussi parce que beaucoup choisissent de miser sur l'atout numéro un de notre pays: Paris. La capitale fait toujours autant rêver dans le monde entier.

"Il y a des séries au succès international très évident comme Lupin ou Cat’s Eyes, dans un Paris très touristique, très joli, mis en valeur et qui est un acteur central du récit", appuie Sarah Hemar.

Et le filon est inépuisable. Parmi les séries présentées au "Coming Next from France", il y avait aussi Montmartre, série de TF1 qui sortira à l'automne et sur laquelle la chaîne mise énormément. Le pitch: au tournant du 20e siècle, à Paris, une jeune danseuse de cabaret devient une star en acceptant d'être la première à danser nue. Mais loin d'être attirée par la gloire, elle se sert de l'argent pour élucider le meurtre irrésolu de son père 20 ans plus tôt.

BA Montmartre ? PHOTO ?

"C'est une série assez exceptionnelle, on a eu un vrai coup de cœur pour cette fiction historique dans la lignée du Bazar de la Charité et des Combattantes. Ça rappelle Amélie Poulain à travers Montmartre et Moulin Rouge avec les spectacles de cabaret", raconte Nadia Chevallard, directrice des ventes internationales de Studio TF1 (ex-Newen, la filiale production et distribution du groupe).

"On est dans un contexte où les diffuseurs internationaux, y compris les plateformes, cherchent des contenus identifiables, qui font référence à un imaginaire collectif. Montmartre coche toutes ses cases."

Déjà riche des succès récents de HPI, Cat's Eyes (fiction française la plus vendue dans le monde en 2024) et Marie-Antoinette, Studio TF1 veut donc à nouveau capitaliser sur ce marché mondial de plus en plus prompt à regarder des séries françaises. "On a déjà des marques d’intérêts pour la série, on s’attend à un beau succès international", souffle Nadia Chevallard.

Les plateformes de streaming coupent leurs achats

Il y a pourtant une ombre au tableau. En 2023, les droits monde, c'est à dire la vente de contenus aux plateformes de streaming mondialisées (Netflix, Disney+, Prime Video, etc.), ne représentaient que 18% des ventes de séries françaises, en très net recul de 15 points en un an.

"Ce repli est conforme au repositionnement stratégique des services non linéaires mondiaux vers des acquisitions plus ciblées", note Unifrance.

Concrètement, avec les obligations légales de production locale, les plateformes de streaming ont changé d'approche depuis quelques années: fini les achats de séries françaises à tout va pour nourrir leur catalogue, désormais elles produisent leurs propres contenus (fictions et documentaires) dans les pays où elles sont présentes et les diffusent elles-mêmes immédiatement dans tous les territoires.

Une bonne nouvelle pour les auteurs et les producteurs indépendants, qui trouvent ainsi de nouveaux débouchés pour donner vie à leurs créations. Une moins bonne pour les chaînes de télé et les gros studios, comme France Télévisions ou TF1, qui voient déjà se refermer un débouché pourtant jugé très prometteur il y a encore quelques années.

Clément Lesaffre