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"Comme un voilier qui cherche les vents favorables": les entreprises bringuebalées dans la tempête des chocs politiques et internationaux

Le quartier financier de La Défense depuis Saint-Cloud, à l'ouest de Paris, 3 avril 2024.

Le quartier financier de La Défense depuis Saint-Cloud, à l'ouest de Paris, 3 avril 2024. - Emmanuel Dunand / AFP

Alors que la Rencontre des Entrepreneurs de France (REF) a lieu mercredi et jeudi, les dirigeants confient un malaise profond: la géopolitique, est désormais au cœur de leur quotidien. Guerre commerciale, tensions monétaires, guerre en Ukraine, chaos politique… Les crises se superposent, brouillent la visibilité et fragilisent les choix stratégiques.

Après la guerre en Ukraine qui s'éternise, après le feuilleton des droits de douane de Donald Trump, voici le vote de confiance qui risque de faire tomber le gouvernement Bayrou, le 8 septembre, et plonger de nouveau la France dans l'instabilité. Les entreprises vivent une accumulation inédite de chocs.

"Nous naviguons dans la purée de pois", confie un responsable patronal.

Le manque de visibilité à tous les étages empêche de prendre des engagements stratégiques ou d’investir sereinement. Un climat d’incertitude qui nourrit une sidération durable: incapables d’anticiper, les dirigeants avancent à vue.

Le risque monétaire: une inquiétude difficile à gérer

Dans un monde déjà instable, le risque monétaire ajoute une complexité supplémentaire. La remise en cause de l’indépendance de la Réserve fédérale par Donald Trump en est l’exemple le plus marquant. Son annonce du limogeage d’une gouverneure de la Fed inquiète les marchés mais illustre aussi son obsession d’affaiblir le dollar contre vents et marées, ce qui  inquiète les exportateurs français.

À l’époque de Franklin Delano Roosevelt, la Fed avait accompagné la relance dans un consensus politique et économique très large. Il s’agissait à l'époque de répondre à la catastrophe sociale et financière des années 30. Aujourd’hui, Donald Trump veut rompre ce consensus. Résultat, les entreprises redoutent un nouvel aléa systémique, où le dollar, au lieu d’être un repère, devient une source d’instabilité.

La guerre commerciale: le casse-tête douanier

L’aléa est aussi commercial. Un industriel résume: "La question des nouveaux tarifs douaniers, notamment vis-à-vis des États-Unis, demeure un casse-tête sans texte clair."

Un fabricant de biens d’équipement nous raconte qu’exporter une machine vers les États-Unis relève du parcours d’obstacles. Les droits de douane sur l’acier et l’aluminium peuvent grimper jusqu’à 50%, mais leur application reste floue. Impossible de calculer précisément la part de métal dans une machine complexe, composée de moteurs et de multiples sous-ensembles. Résultat, incertitude et contournements fréquents, même si les technologies européennes demeurent recherchées, constate l’exportateur. 

Les conflits: la superposition des crises

Ukraine, Israël-Iran, tensions à Taïwan ou entre le Pakistan et l’Inde… Les entreprises ressentent une superposition des crises, et non plus une simple succession.

"Certaines restent gérables, explique un universitaire, mais l’empilement crée une instabilité permanente."

C’est finalement le constat que dressait l’ancien chef d’état-major Thierry Burkhard en juillet dernier quand il parlait d’un "effet cliquet": chaque crise laisse une empreinte durable, qui rend le retour à la normale de plus en plus improbable.

Comment les entreprises s’adaptent

La question des chaînes de valeur reste centrale. Depuis le Covid, la guerre en Ukraine et les tensions sino-américaines, les dirigeants réorganisent leurs schémas d’approvisionnement. Ils diversifient leurs fournisseurs, relocalisent certaines étapes de production et rapprochent les sites de leurs marchés. Objectif: sécuriser les approvisionnements, quitte à payer plus cher.

Malgré les risques, des opportunités apparaissent. L’Inde est devenue un marché clé pour les ETI françaises. Le pays investit massivement, y compris dans la défense, et construit un modèle plus autonome vis-à-vis des États-Unis. Le Brésil suit une trajectoire similaire.  Comme le résume un industriel, "ces zones, qui échappent en partie à la dépendance au dollar, offrent des relais de croissance précieux".

Des attentes fortes vis-à-vis des pouvoirs publics

Au moment où les entreprises réclament stabilité et soutiens publics face à ces chocs exterieurs qui se superposent, le chaos politique attendu en France "arrive au plus mal", déplore un dirigeant. 

Au niveau européen, un industriel critique "une Europe qui n’a pas encore compris ce qui se passe vraiment".

Le choc de compétitivité prôné par l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario  Draghi est bien dans le débat public, mais il ne se matérialise pas, se désolent les industriels interrogés, qui déplorent aussi une BCE trop concentrée sur la finance verte, et décalée du contexte géopolitique actuel.

Alors que le brouillard s'épaissit,un exportateur français résume l’enjeu du moment: "s’adapter en permanence, comme un voilier qui cherche les vents favorables", en musclant ses positions dans les zones porteuses.

Mathieu Jolivet