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Comment les banques privées vont devoir s'adapter aux nouveaux riches

HSBC est l'une des banques les mieux positionnées pour la nouvelle classe aisée qui émerge.

HSBC est l'une des banques les mieux positionnées pour la nouvelle classe aisée qui émerge. - Miguel Medina-AFP

[AVIS D'EXPERT] Depuis quelques années, une nouvelle classe aisée émerge dans de nouvelles zones géographiques. Un phénomène auquel les banques privées doivent s'adapter. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Traditionnellement, pour les particuliers, c’est-à-dire pour vous et moi, la banque se divise en deux. Il y a la banque de détail pour la plupart et il y a la "banque privée" pour les plus aisés. Elle délivre des services bancaires hyper-personnalisés autour de la gestion de patrimoine, dès lors que celui-ci dépasse un certain montant - avec un seuil très variable selon les établissements car il y a, dans la banque privée, des gradients pour les "presque-riches", les "riches", "super-riches" et au-delà.

Secteur traditionnellement et particulièrement discret, la banque privée fait peu parler d’elle. Cela ne signifie cependant pas qu’elle n’est pas soumise, comme la banque de détail, à de fortes évolutions: nouveaux riches (des entrepreneurs de la nouvelle économie aux "youtubeurs" à succès !), nouveaux services et nouveaux types de placement. La richesse elle-même évolue.

Ces dernières décennies, cette évolution a notamment été marquée par deux phénomènes décisifs: la formation de classes aisées concerne désormais de nombreux pays et, à cette échelle internationale, la banque privée représente un marché de masse, ce qui bouleverse complètement la donne. Surtout si l’on inclut – ce qui paraît le plus logique – dans ce segment "mass affluent" non seulement les plus aisés mais ceux qui promettent de l’être, par exemple parce qu’ils suivent une formation de pointe leur ouvrant de nombreuses portes à l’échelle internationale.

D’un point de vue financier, c’est évidemment une population très intéressante, que les banques néanmoins n’ont jamais bien su traiter. N’ayant pas encore le niveau de patrimoine lui permettant d’accéder aux services de la banque privée, cette population a pourtant besoin d’un accompagnement spécifique que les banques de détail ont du mal à lui apporter.

L'émergence d'une nouvelle classe

C’est d’abord que les profils aisés émergents bougent beaucoup. A leur niveau, l’expatriation est devenue courante, dès les années de formation. En 2000, dans son roman Super Cannes, J. G. Ballard fut l’un des premiers à saisir cette nouvelle classe de travailleurs aisés (qu’on nommerait bientôt "classe créative"), de plus en plus homogène dans ses goûts, ses expressions et ses modes de vie, quel que soit le pays d’origine et s’installant dans un cadre de plus en plus "hors-sol" dans ses pays d’accueil et souvent simplement de passage.

Or quelle banque peut servir cette population? Il n’y a en réalité qu’une, parmi celles installées, dont la couverture mondiale soit suffisamment développée: HSBC, présente dans 62 pays en banque des particuliers. HSBC l’a vite compris et a ainsi engagé une réorientation stratégique, aussi rare pour une grande banque, par son envergure, que finalement peu remarquée.

La première étape consistait à se mettre en visibilité en tant que World’s Local Bank là-même où l’établissement avait le plus de chance de toucher sa cible: les aéroports ; dans certains desquels HSBC a développé une omniprésence publicitaire rare pour une banque. Aujourd’hui, une nouvelle campagne va être lancée, visant les expatriés professionnels, les étudiants à l’étranger et les investisseurs internationaux – un marché effectivement de masse qu’HSBC estime à 90 millions d’individus (l’établissement lui-même compte 40 millions de clients). Des profils auxquels HSBC promet d’être partout comme chez eux, en termes de services financiers et notamment d’accès au crédit, avec une assistance affranchie des fuseaux horaires et, en banque ouverte, une palette de prestations complémentaires.

Il ne s’agit donc pas pour HSBC de se recentrer sur la gestion de fortune mais plutôt de créer un pont entre banque de détail et banque privée à l’adresse d’une population aisée émergente. Et pour sa campagne, HSBC a choisi une dizaine de pays qui dessinent une géographie de la richesse active, en formation, qui a de quoi faire grincer des dents dans la vieille Europe. Parce que Paris, Berlin ou Genève n’en font pas partie mais plutôt les Emirats, les Iles anglo-normandes et l’Ile de Man. Tout le reste est anglo-saxon (Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie) ou asiatique (Singapour, Hong-Kong, Inde et Chine). Sans surprise finalement car la richesse émerge désormais principalement en Asie. A ce point que le premier actionnaire – chinois - de HSBC a pu récemment proposer de scinder l’établissement en deux, pour concentrer ses forces vives sur l’Asie.

Faire le pont entre banque de détail et banque privée

La proposition n’a pas eu de suite. HSBC n’a pas l’intention de quitter des pays comme les Etats-Unis ou le Canada. Elle ne tient cependant pas à continuer à y exercer des activités de banque de détail classiques. En France, HSBC a ainsi voulu céder son réseau d’agences. L’opération a marqué les esprits, HSBC se retrouvant à brader ses actifs non seulement pour 1 euro symbolique mais encore, pour le dire vite, avec un chèque de 2 milliards d'euros versé au repreneur. En fait, l’opération (aujourd’hui apparemment suspendue) ressemblait davantage à une externalisation, justifiant des investissements, qu’à la cession à perte d’un actif non-rentable, puisque selon le schéma retenu HSBC devait conserver à travers son ancien réseau un canal de distribution propre pour ses produits. Encore une fois, il s’agit pour l’établissement non tant de se recentrer sur la gestion de fortune seule que de jeter un pont entre la banque de détail (qui en elle-même ne justifie néanmoins plus à ses yeux des coûts fixes récurrents, ni d’engagement auprès de clients insuffisamment "prometteurs") et la banque privée.

Au total, HSBC fait ainsi un pari stratégique fort intéressant sur un segment porteur par rapport auquel elle n’a pas réellement de compétiteur. Nous l’avons récemment souligné, en effet, seules des néobanques nativement internationales et séduisant les mêmes cibles, comme N26 et surtout Revolut, paraissent à même de lui faire de l’ombre. Toutefois, les dernières annonces de Revolut concernant son lancement dans le crédit à la consommation le plus banal forcent à se demander s’il a bien saisi l’enjeu.

Dans l’économie-monde de demain, n’y aura-t-il donc qu’une seule banque globale? Cela paraît peu crédible. L’aventure d’un Goldman Sachs dans la banque de détail avec Marcus, dont l’échec a surtout tenu à un mauvais ciblage, témoigne que de grandes institutions auront les moyens de s’aligner à une échelle internationale. La question est plutôt la suivante: demain, pour les banques, qui pour la plupart demeurent aujourd’hui essentiellement nationales (ou même européennes), quel marché restera-t-il pour celles qui n’auront pas su adopter une vision globale?

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor