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Apple se lance dans la notation des emprunteurs

Apple se lance dans le scoring pour les prêts

Apple se lance dans le scoring pour les prêts - AFP

[AVIS D'EXPERT] Apple a récemment acquis Credit Kuros, une société spécialisée dans le "scoring" des emprunteurs. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Apple vient d’acheter Credit Kudos. Si, ainsi énoncée, l’information ne fait pas un titre très accrocheur, elle mérite pourtant quelques commentaires car il pourrait bien s’agir d’un tournant.

Ce qui est en jeu est ce qu’on appelle le "scoring", c’est-à-dire la notation qu’appliquent les banques à tous les particuliers qui sollicitent un financement auprès d’elles. Constituée de différents éléments d’appréciation dont la composition est, en France particulièrement, tenue jalousement secrète par les banques, cette notation tente de cerner le risque de non remboursement de chaque emprunteur potentiel.

Autant dire que nous touchons là à l’un des savoir-faire les plus essentiels du métier de banquier. Et, très longtemps, ce risque fut le plus souvent appréhendé par les chargés de clientèle sur la base d’historiques de paiement et des documents comptables et financiers remis par leurs clients, sur la connaissance directe qu’ils avaient de ces derniers, ainsi que du contexte dans lequel ils évoluaient.

Une pratique de plus en plus automatisée

Toutefois, avec la numérisation, cette pratique a beaucoup évolué: elle est de plus en plus automatisée, elle agrège des éléments d’appréciation de plus en plus variés et, compte tenu de ces deux conditions, elle est de plus en plus réalisée par des acteurs non bancaires.

Deux éléments, surtout, ont commencé à modifier radicalement la notation de crédit. Celle-ci se fondait essentiellement sur des éléments comptables et patrimoniaux (sur la base desquels pouvaient être prises des garanties). Elle s’intéresse désormais à la régularité des revenus et à la manière dont sont gérées les dépenses. On peut travailler avec de moins en moins de garanties mais il est demandé aux emprunteurs d’avoir directement accès à tous leurs comptes. La notation n’était engagée qu’une fois une demande de financement formulée. Elle tend à devenir constante, préalable même aux demandes. Pour susciter celles-ci et réagir très vite, quasi-instantanément, en cas de besoin de financement, comme l’illustrent actuellement les paiements fractionnés. Or, dès lors que les notations deviennent ainsi dynamiques, d’autres acteurs que les banques peuvent non seulement les faire à la place de ces dernières mais ils peuvent surtout le faire plus facilement qu’elles.

C’est justement ce que propose Credit Kudos, une plateforme de notation créée à Londres en 2015 et dédiée à tous ceux auxquels les banques ont refusé un crédit ou qui ne s’adressent pas à elles, prévoyant qu’ils essuieront un refus. Plateforme de notation alternative, Credit Kudos demande aux postulants d’avoir un accès direct à tous leurs comptes et revenus (selon les modalités d’agrégation de comptes ouvertes par les dispositions en matière "d’open banking"). La plateforme y ajoute d’autres éléments d’appréciation et élabore sa propre notation, sur la base de laquelle, si elle est favorable, elle propose à des prêteurs, dont les banques, de répondre aux besoins de financement exprimés.

Pourquoi choisir d’acquérir une telle plateforme? Pour Apple, ce n’est pas une grosse acquisition: Credit Kudos est valorisé 150 millions de dollars. Pour les commentateurs, il s’agirait ainsi pour Apple d’étendre l’usage de sa carte de paiement dans d’autres pays que les Etats-Unis, en lui ajoutant une option de paiement fractionné (depuis un an, la rumeur coure qu’Apple veut se développer sur ce créneau).

Succès mitigé pour Apple Pay

C’est qu’Apple Pay, lancé il y a sept ans, demeure un succès mitigé. Pas plus que les banques, Apple n’a encore réussi à transformer de manière massive les mobiles en moyens de paiement. Seuls 6,1% des mobinautes qui ont installé ApplePay l’utilisent pour réaliser des achats – alors même qu’aux Etats-Unis, 70% des commerces acceptent désormais ApplePay.

Mais l’on peut voir beaucoup plus loin. L’important, en effet, est sans doute qu’Apple met ainsi un pied dans le scoring. Car, disposant avec Credit Kudos d’une méthodologie de notation propre, qu’elle pourrait considérablement enrichir et élargir à partir des données dont elle dispose, la firme à la pomme ne pourrait-elle pas largement se substituer à terme aux banques dans l’appréciation des risques de financement?

Non pas pour devenir une banque, c’est-à-dire pour prendre les risques de crédit elle-même mais pour être le premier intermédiaire en matière de services bancaires et évoluer ainsi en une plateforme incontournable pour les banques qui viendront y chercher des clients.

Demain, pour obtenir un crédit, s’adressera-t-on surtout à Apple? Ou bien à Google ou à Amazon, tout aussi à même de proposer des offres comparables? Ces acteurs pourraient être effectivement tentés de développer une plateforme comme Credit Kudos à une très large échelle. Mais l’on peut également imaginer que nos achats, y compris immobiliers, se faisant de plus en plus en ligne, des options de financement seront proposées directement sur les sites marchands auxquelles nous pourront répondre à partir de notre compte Apple ou autre, sur lequel une note de crédit apparaîtra. Pour les autres besoins de financement. Ce n’est donc pas qu’on s’adressera particulièrement à Apple pour financer nos achats. C’est qu’on ne s’adressera plus directement à notre banque.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor