Retour au bureau: face aux menaces de démissions, les entreprises partagées entre rigidité et incitation

Le retour au bureau des salariés américains vire au psychodrame. Alors que l'épidémie de covid marque enfin le pas en Amérique du nord, les grands employeurs exhortent leurs salariés à revenir en présentiel après, parfois, 100% de télétravail depuis deux ans.
Evidemment ces appels à retrouver les open-spaces est assez froidement accueilli par des employés qui ont pris le pli du travail à distance. Beaucoup entendent maintenir aujourd'hui un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, d'autant plus que le plein emploi leur permet de choisir leur entreprise. Et de partir si les conditions proposées ne leurs conviennent pas. C'est la fameuse Grande Démission qu'on observe actuellement outre-Atlantique, notamment dans les entreprises de la tech.
Ces dernières sont forcées de s'adapter à ces demandes de travail hybrides. Pour autant, certains salariés estiment ces efforts bien insuffisants et le font savoir.
"Arrêter de nous traiter comme des écoliers"
Cette question empoisonne ainsi les relations sociales d'Apple depuis plus d'un an. La firme à la pomme impose en effet depuis avril à tous les salariés de se rendre au moins trois jours par semaine au bureau (d'ici fin mai) après deux ans de travail à distance intégral. Une proposition jugée inacceptable.
Plus de 3000 salariés du géant, notamment des managers, ont ainsi signé une lettre menaçant de démissionner si la direction ne faisait pas des efforts supplémentaires.
Dans un sondage mené en interne, 76% des salariés d'Apple se disent insatisfaits de ce plan de retour au travail, et 56% envisageaient de quitter l'entreprise en raison de ces nouvelles règles.
"Nous ne demandons pas que tout le monde puisse travailler à domicile. Nous demandons de décider nous-mêmes, avec nos équipes et notre responsable direct, quel type d'arrangement convient le mieux à chacun d'entre nous, que ce soit dans un bureau, à domicile ou une approche hybride. Arrêtez de nous traiter comme des écoliers à qui il faut dire quand être, où et quels devoirs faire", écrivent ainsi les signataires qui dénoncent une direction très rigide sur la question depuis le début de la crise sanitaire en 2020.
Le risque donc, c'est une hémorragie massive de talents que les entreprises veulent éviter ou même des résistances et des frondes qui mettraient à mal la productivité.
Liberté, teambulding et ateliers pizzas
Apple campe pour le moment sur ses positions. Mais de nombreux autres géants s'interdisent toute obligation formelle et multiplient les "carottes" (ou "incentives") pour retenir les mécontents. Tous les experts le disent: les habitudes ont changé, il sera impossible de revenir en arrière et les entreprises doivent s'aligner.
Chez Google par exemple, on offre un pack trottinette Unagi et son abonnement d'une valeur de 49 dollars par mois ainsi que les frais associés. C'est un début.
Au Canada, ServiceNow n'impose par exemple pas de planning fixe. "Nous offrons le choix aux gens. Si vous travaillez pour un employeur qui vous oblige à faire quelque chose que vous ne voulez pas faire, il n’y a pas de chemin vers une expérience positive", explique son président au quotidien québécois La Presse.
Le groupe offre également des repas gratuits et des moments festifs de teambuilding comme un atelier fabrication de pizzas... "Nous voulons revenir à cet état d’esprit où la connexion humaine est précieuse et saine. Nous voulons préparer le terrain pour un retour au bureau de manière très positive", poursuit le responsable.
C'est également le choix fait par de nombreuses grandes entreprises françaises qui n'hésitent pas à faire appel à des prestataires (et donc à dépenser un joli billet) pour organiser des événements dignes de ce nom (et pas une chasse au trésor dans les couloirs du 2e étage).
Le bureau "c'est fini" chez Airbnb
"C’est reparti comme jamais, depuis le 3 janvier. En un mois, nous avons égalé le chiffre d’affaires 2019. Il y a un énorme enjeu à ce que les gens se voient physiquement", explique au Monde, Thomas Faizant, cofondateur de Prochaine escale, une agence spécialisée dans le team-building.
Les objectifs sont simples: recréer du lien pour redonner l'envie du présentiel aux salariés et répondre également à l'angoissante question de la quête de sens au travail mise en avant par de nombreux salariés tentés par la démission voire la reconversion.
Et puis il y a les entreprises qui ont renoncé à faire revenir qui que ce soit, estimant que travailler dans un bureau est une ineptie. C'est le cas de Brian Chesky, patron d'Airbnb qui indique dans une interview au Time, avoir l'intention de permettre à ses employés de travailler définitivement à distance, depuis n’importe où (même en dehors des Etats-Unis) sans modification de salaire.
Initialement, la plateforme entendait faire revenir ses salariés en présentiel d'ici septembre prochain.
"Je pense que le bureau tel qu’on le connaît, c’est fini, affirme-t-il. C’est une sorte de forme anachronique. Il vient d’un âge pré-numérique. Si le bureau n’existait pas, je me demande si nous l’aurions inventé. Et si nous l’avions inventé, dans quel but l’aurions-nous fait? Il est évident que les gens continueront à se rendre dans les hôpitaux pour travailler, à se rendre dans les cafés pour travailler. Mais je pense que pour quelqu’un dont le travail se fait sur un ordinateur portable, la question est de savoir: à quoi sert un bureau?"
La question mérite en effet d'être posée. Et de poursuivre: "Il s’agira de faire preuve d’une flexibilité totale, puis de se réunir de manière immersive lorsque vous en aurez besoin. C’est ainsi que la plupart des entreprises de la tech vont fonctionner."