Assurance-chômage: durcir les règles pour relancer l'emploi, une méthode efficace?

Assurance-chômage, acte 3. Après les réformes de 2019 et 2023, Gabriel Attal a confirmé un nouveau durcissement des règles de l'assurance-chômage à compter du 1er décembre. A cette date, la durée d'indemnisation sera réduite à 15 mois, contre 18 actuellement, et il faudra avoir travaillé 8 mois sur les derniers 20 mois pour être indemnisé, contre 6 mois au cours des derniers 24 aujourd'hui.
Pour le Premier ministre, cette réforme doit contribuer à l'objectif de plein emploi visé par le gouvernement à horizon 2027, alors que le taux de chômage s'établit actuellement à 7,5%. "Nos réformes ont permis de créer 2,5 millions d'emplois, notre taux de chômage est au plus bas depuis quarante ans... Nous avons montré que nous n'étions pas condamnés au chômage de masse. Mais si nous ne réformons pas l'assurance chômage aujourd'hui, nous risquons de caler sur la route du plein emploi", a expliqué le chef du gouvernement dans La Tribune Dimanche.
Mais la méthode consistant à durcir les règles de l'assurance-chômage pour favoriser le retour à l'emploi est-elle réellement efficace? Les économistes se divisent sur la question. Notamment parce qu'"on a aucune évaluation, aucun tableau de bord sur les résultats de ce qui a été fait" depuis 2017, rappelle sur BFM Business Bruno Coquet, docteur en économie, chercheur associé à l'OFCE.
Un retour plus rapide vers l'emploi
Un "rapport intermédiaire" publié par la Dares en février apporte tout de même quelques éléments de réponse. D'après ces travaux, les ouvertures de droits à l'assurance-chômage ont baissé de 14% entre 2019 et 2022. Ce qui tend a penser que la réforme de 2019 a bien eu un effet positif sur l'emploi. Pour autant, "je serais très prudent. C'était pendant une période où la conjoncture repartait, où on a créé énormément d'emplois... Donc est-ce que c'est lié à l'activité ou à la réforme? Attendons avant de dire que cela fonctionne", souligne sur BFM Business Eric Heyer, directeur du département Analyse et prévision à l'OFCE.
Responsable de la division revenu/travail à l'OCDE, Stéphane Carcillo s'appuie de son côté sur plusieurs études évaluant l'impact des réformes en France avant 2017 et à l'international. "Ce qu'on voit dans les données, c'est que les gens cherchent (du travail, NDLR) trois mois avant la fin de l'indemnisation et que lorsque vous changez la durée, vous anticipez un peu plus la recherche d'emploi et les gens sortent plus vite du chômage", assure-t-il.
Auprès de l'AFP, l'économiste précisait de surcroît qu'"on sait, sur la trentaine d'études internationales dont on dispose, que diminuer d'un mois la durée maximale des allocations réduit en moyenne la durée effective du chômage de dix jours". Dit autrement, "la date de fin d'indemnisation potentielle cale la date de sortie effective: vous changez de comportement de recherche et les gens sortent plus tôt du chômage".
Une dégradation de la qualité des emplois?
Eric Heyer maintient toutefois que "les doutes ne sont pas levés". S'il reconnaît que durcir les règles de l'assurance-chômage peut permettre "un retour à l'emploi un peu plus rapide" de certaines personnes, il note que le rapport de la Dares montre que ce n'est pas le cas pour les contrats courts et précaires. En effet, "pour les allocataires qui ont des parcours fractionnés, caractérisés par des enchaînements de contrats courts et de périodes non travaillées", la réforme de 2019 "induit une baisse de l'allocation journalière et une hausse de la durée potentielle d'indemnisation", écrivent les auteurs de l'étude.
En outre, le durcissement des règles a pu pousser des personnes qualifiées à prendre un emploi moins durable et moins qualifié. Avec une dégradation générale de la qualité des emplois à la clé, selon Eric Heyer: "Dès que vous durcissez, vous incitez les personnes à retourner plus vite à l'emploi. Le problème, c'est que ces personnes prennent les emplois à d'autres personnes qui auraient pu avoir ces emplois-là. Par exemple, vous incitez les cadres à reprendre un emploi mais un emploi de moins bonne qualité qui aurait pu bénéficier à une personne moins qualifiée", déplore l'économiste. Pour lui, cette situation n'est pas "bonne à long terme car les personnes se sentent déclassées".
Reste qu'à l'inverse, assouplir les règles de l'assurance-chômage ne semble pas permettre pour autant une amélioration de la qualité des emplois. C'est du moins ce qu'a conclu l'Institut des politiques publiques qui a évalué les effets de l'augmentation de la durée d'indemnisation de l'assurance-chômage de 7 à 15 mois entre 2000 et 2002. Un allongement qui "augmente d'environ deux mois et demi" la durée de chômage des allocataires et qui "ne s'accompagne pas d'une amélioration de la qualité de l'emploi retrouvé", observe l'IPP.
Bruno Coquet constate surtout que la réforme de l'assurance-chômage ne va finalement viser qu'une minorité sachant que seuls "42% des chômeurs sont indemnisés par l'Unédic. Donc 58% ne vont pas être affectés". Le gouvernement espère malgré tout avec cette réforme économiser 3,6 milliards d'euros et voir 90.000 personnes supplémentaires en emploi: "Cela fait 40.000 euros l'emploi créé. C'est lamentable comme efficience", note Bruno Coquet. Qu'importe pour Erwann Tison, directeur des études de l'Institut Sapiens qui estime que "le but officieux" de l'exécutif avec cette réforme, "c'est de faire des économies. Pas d'aller vers le plein emploi".