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Elon Musk au gouvernement américain: de tels conflits d'intérêts seraient-il possibles en France?

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Le milliardaire aura en charge de codiriger un ministère de l'efficacité administrative alors que la plupart de ses nombreux intérêts dépendent des différentes administration. En France, le membres du gouvernement doivent ses déporter des dossiers qui les concernent, rendant a priori impossible une telle nomination.

Démanteler la bureaucratie. C’est la mission que Donald Trump va confier à l’homme d’affaires Elon Musk qu’il va nommer à la tête d’un ministère en janvier prochain. Une récompense pour le milliardaire qui a largement financé sa campagne.

Dans un communiqué, le président élu Donald Trump a annoncé qu'Elon Musk allait codiriger un ministère nouvellement créé le Department of Government Efficiency dont l’acronyme DOGE fait référence à une blague sur internet. Une mission relativement courte qui devrait prendre fin d'ici au 4 juillet 2026, date du 250ème anniversaire de l'indépendance américaine.

Donald Trump compare ce projet rien de moins qu’au Projet Manhattan à l’origine de la bombe atomique américaine. Ça donne le ton.

Concrètement que va faire Elon Musk ? Probablement privatiser et dérèglementer à tout va et plus globalement s'attaquer au millefeuille bureaucratique. Un rapport de 900 pages du Parti républicain appelé le Project 2025 pourrait être sa feuille de route. Ou plutôt sa déclaration d'intention tant le document n'offre que peu de solutions concrètes pour "faire tomber l'État profond et rendre le gouvernement au peuple".

Dans les années 1980, le président Reagan avait déjà privatisé des services publics mais qui entraient en concurrence avec le privé. Cette fois ça pourrait concerner des agences règlementaires comme celle de l’aviation civile (FAA), de l’environnement (EPA) ou de la finance (SEC).

La philosophie qui sous-tend ce projet est de mettre fin à "l’Etat profond", une idée selon laquelle l'administration poursuivrait un agenda politique contre le peuple américain en promouvant des idées "woke", des règles environnementales trop contraignantes ou en menant une politique de globalisation au seul bénéfice des grandes entreprises.

Quand Elon Musk est soutenu par l'administration

Le paradoxe, c'est que ces "contraintes" ont fait la fortune d'Elon Musk. La transition énergétique, le libre-échange, les subventions publiques auxquelles Donald Trump souhaite s’attaquer ont largement contribué au succès de ses entreprises.

L’homme le plus riche du monde avec un patrimoine de 320 milliards de dollars est le patron de Tesla, de SpaceX, de X-Twitter, de Neuralink, de xAI ou encore de The Boring Company une entreprise de travaux publics. Autant de succès largement soutenus par l’administration américaine. SpaceX a par exemple bénéficié de 11,8 milliards de dollars de contrats avec la Nasa ou encore de 3,6 milliards avec la Défense. Tesla de son côté a bénéficié de 2,8 milliards de dollars de subventions fédérales notamment pour la construction de ses usines, selon la base de données Subsidy Tracker qui recense les programmes de subventions de l'Etat.

Les conflits d'intérêt sont donc très nombreux. D'autant que le milliardaire pourrait avoir la main sur des agences comme la sécurité routière (NHTSA), l'agence du médicament (FDA), le gendarme de la Bourse (SEC), de l’aviation civile (FAA), de l’environnement (EPA) qui contrôlent ses propres activités.

Quid de la France ?

En France un tel mélange des genres serait-il possible? Pourrait-on imaginer un Dassault, ministre de la Défense ou un Niel secrétaire d'Etat aux télécoms?

On se souvient que François Mitterrand avait sommé Bernard Tapie en 1992 de vendre sa société Adidas pour entrer au gouvernement. Le risque était alors politique et potentiellement judiciaire.

Mais depuis les lois de septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, une telle nomination parait impossible juridiquement. Selon un décret en application depuis le 1er janvier 2018, un ministre doit se mettre en retrait sur un sujet en raison d’un risque de conflit d’intérêts, y compris en Conseil des ministres. Ces dernières années, la ministre de la Transition écologique et de l'Energie Agnès Pannier-Runacher s'est déportée plusieurs fois de dossiers qui concernaient son entourage, notamment concernant Engie dont son ancien compagnon préside une des entités.

Avec une telle règlementation, Elon Musk devrait se déporter sur un trop grand nombre de dossiers pour exercer sa fonction tant ses intérêts sont nombreux et variés.

Tesla par exemple fait l'objet d'une enquête de la sécurité routière concernant le logiciel de conduite entièrement autonome qu'elle commercialise. SpaceX est suspecté de ne pas respecter certaines normes environnementales. Et l'avenir de la start-up Neuralink dépend des décisions à venir de la FDA, la puissante agence du médicament.

Musk, un oligarque américain

"Musk est le dernier exemple en date d’un homme de la Silicon Valley totalement passionné par les machines et l’ingénierie, qui regarde le gouvernement et se dit: "C’est si difficile? Laissez-moi m’en occuper et je peux résoudre le problème pour vous"", analyse dans Politico Peter Leyden, fondateur de la société de prospective stratégique Reinvent Futures. Il y a eu beaucoup de personnages de ce genre avant lui et il n’est que le dernier en date."

Ils n'ont en revanche pas été nombreux à être catapulté au cœur du pouvoir politique à Washington. Ce qui fait dire à certains médias outre-Atlantique qu'Elon Musk serait "le premier oligarque américain".

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco