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TOUT COMPRENDRE - Brexit: pourquoi les tensions autour du protocole nord-irlandais resurgissent

Les unionistes du DUP sont farouchement opposés au protocole nord-irlandais

Les unionistes du DUP sont farouchement opposés au protocole nord-irlandais - PAUL FAITH

Alors que l'Irlande du Nord s'enfonce dans une crise politique, le gouvernement britannique a fait part de sa volonté de légiférer pour réviser le protocole nord-irlandais négocié dans le cadre du Brexit. "Inacceptable" pour les Européens.

Le répit n’aura été que de courte durée. Censé résoudre l’épineuse question de la seule frontière terrestre séparant le Royaume-Uni et l’Union européenne, le protocole nord-irlandais négocié dans le cadre du Brexit se retrouve une nouvelle fois au cœur des tensions entre Londres et Bruxelles.

Mardi, la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, a fait part de son intention de "d’introduire un projet de loi dans les prochaines semaines pour apporter"de manière unilatérale, faute d’accord avec l’UE, des "changements" au texte dictant les règles commerciales post-Brexit en Irlande du Nord.

"Notre préférence reste une solution négociée avec l'UE, et parallèlement à l'introduction de la législation, nous restons ouverts à de nouvelles discussions, si nous pouvons obtenir le même résultat grâce à un règlement négocié", a affirmé Liz Truss. Une déclaration sous forme d’ultimatum qui survient quelques mois après les premières menaces brandies par le gouvernement conservateur de déchirer le protocole en ayant recours à l’article 16.

• Qu’est-ce que le protocole nord-irlandais?

Comme à Calais, des contrôles de marchandises ont été mis en place à la frontière entre le Royaume-Uni et l’Union européenne depuis le Brexit. Les Britanniques n’étant plus tenus de respecter les normes et standards européens, notamment en matière de commerce, il s’agit pour l’UE de protéger l’intégrité de son marché unique en empêchant que des produits non conformes à sa réglementation n’y pénètrent.

Difficile d’en faire autant en Irlande. Un tel dispositif aurait mécaniquement rétabli une frontière physique entre l’Irlande du Nord, qui appartient au Royaume-Uni, et la République d’Irlande, membre de l’Union européenne. Avec le risque de fragiliser l’accord de paix du Vendredi Saint conclu en 1998 après des décennies de violences intercommunautaires entre protestants unionistes et républicains catholiques militant pour la réunification de l'Irlande.

Plutôt que d'effectuer les formalités au niveau de la seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l'UE au risque de raviver les tensions, le protocole négocié en 2019 prévoit donc que les contrôles sur les marchandises en provenance de Grande-Bretagne s'effectuent à leur arrivée en Irlande du Nord. Dit autrement, la frontière entre les deux Irlande est déplacée entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord qui est maintenue de fait dans le marché commun et l'union douanière de l'Union européenne.

Le protocole nord-irlandais crée une frontière en mer d'Irlande
Le protocole nord-irlandais crée une frontière en mer d'Irlande © BFM Business

• Pourquoi le protocole pose problème?

Si le gouvernement britannique insiste pour réviser le texte qu’il a lui-même signé c’est parce qu’il tient le protocole comme responsable de difficultés d’approvisionnement en Irlande du Nord. Il lui reproche de surcroît d’être source de tensions sur l’île et de menacer l’accord de paix du Vendredi Saint.

Les entreprises basées en Irlande du Nord sont en revanche divisées sur la question: certaines se plaignent des nouvelles formalités nécessaires pour le transport de marchandises entre la Grande-Bretagne et la province britannique. D’autres se félicitent au contraire de conserver un accès au gigantesque marché européen.

Selon plusieurs études, l'économie de l'Irlande du Nord a ainsi rebondi après la pandémie plus rapidement que les autres régions du Royaume-Uni grâce à l'accord qui permet de commercer avec l'UE. Le texte n'a toutefois jamais été mis complètement en œuvre, car des périodes de grâce sur les contrôles ont été instaurées et prolongées pour des produits comme la viande non surgelée ou les médicaments. Si bien que son application complète laisse augurer une aggravation des difficultés.

Mais pour les unionistes, le protocole nord-irlandais constitue une menace pour la place de la province au sein du Royaume-Uni. Ils craignent que la frontière en mer d'Irlande qu'il introduit de fait selon eux aille dans le sens d'une réunification de l'île d'Irlande. Autant de difficultés qui ont fait dire au Premier ministre, Boris Johnson, que le protocole "n’est pas tenable dans sa forme actuelle".

• Que propose le Royaume-Uni?

Accusant les Européens de refuser de renégocier le texte et de manquer de flexibilité, le gouvernement britannique a décidé de légiférer lui-même dans les semaines à venir pour apporter des modifications au protocole, en se passant bien entendu de l’avis de Bruxelles.

Son projet prévoit que les marchandises venues de Grande-Bretagne ayant vocation à rester en Irlande du Nord, et donc au sein du marché britannique, bénéficieraient d'un canal "vert" évitant les contrôles, tout en permettant à l'UE d'accéder aux données en temps réel.

Une voie "rouge" serait destinée aux biens risquant d'entrer sur le marché européen et qui devraient être déclarés, mais les contrôles s'effectueraient en Grande-Bretagne. Toute infraction serait punie de "lourdes pénalités" selon le gouvernement britannique. "Il ne s’agit pas d’éliminer le protocole", a tenté de rassurer Liz Truss, assurant que le texte de loi proposé est compatible avec les obligations du Royaume-Uni en matière de droit international.

• Comment réagit l’UE?

Dans la foulée de l’annonce du gouvernement britannique de légiférer pour réviser le protocole, l’UE a jugé ces modifications unilatérales "pas acceptables". "Si le Royaume-Uni décide d'aller de l'avant avec un projet de loi supprimant des éléments constitutifs du protocole, comme l'a annoncé aujourd'hui le gouvernement britannique, l'UE devra réagir avec tous les moyens à sa disposition", a mis en garde mardi le vice-président de la Commission européenne Maros Sefcovic. L'annonce du gouvernement britannique "soulève des inquiétudes importantes", a-t-il souligné.

Bruxelles a toujours refusé de renégocier le protocole, se disant seulement prête à des aménagements. Maros Sefcovic a rappelé à ce titre que la Commission européenne avait déjà fait des propositions "d’une portée et d’un impact considérables, pour faciliter la circulation des marchandises de la Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord".

En prévoyant notamment une voie express sur certaines marchandises, ces propositions auraient pour effet de réduire les contrôles de 80% et les formalités douanières de 50%, a assuré la Commission qui s’est dit "prête à poursuivre les discussions avec le gouvernement britannique afin d’identifier des solutions communes dans le cadre du protocole".

• Pourquoi maintenant?

La nouvelle dénonciation du protocole nord-irlandais par le gouvernement britannique survient alors que l’Irlande du Nord s’enfonce dans une crise politique. Après la victoire historique des républicains du Sinn Fein, qui défend la réunification de toute l’Irlande, aux élections locales le 8 mai dernier, les unionistes du DUP ont refusé de participer à l'exécutif local, pourtant censé être partagé en vertu de l'accord de paix de 1998.

Viscéralement attachés à l'union avec la Grande-Bretagne, ces derniers ont bloqué le fonctionnement de l’Assemblée d’Irlande du Nord en ne rendant pas possible l’élection de son président pour protester contre le protocole nord-irlandais. Le chef du DUP, Jeffrey Donaldson a ainsi réclamé des "actes" et non des "mots" : "je veux voir le gouvernement promulguer une loi qui apportera la solution dont nous avons besoin", a-t-il dit.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco