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Irlande du Nord: comment le social a porté le Sinn Fein au pouvoir

Michelle O'Neill, vice-Première ministre nationaliste, le 5 mai 2022 à Clonoe.

Michelle O'Neill, vice-Première ministre nationaliste, le 5 mai 2022 à Clonoe. - PAUL FAITH / AFP

Le parti nationaliste l’a emporté à Belfast, en misant notamment sur une position anti-Brexit, mais aussi sur des thématiques sociales.

La nouvelle est historique: pour la première fois depuis un siècle, le Sinn Féin a devancé le camp unioniste (Democratic Unionist Party, DUP) en Irlande du Nord. La formation dirigée par Mary Lou McDonald, essentiellement catholique et favorable à la réunification de l'Irlande, totalisera plus de députés à Belfast que le DUP, puisqu'il a obtenu 27 des 90 sièges à l'assemblée locale, contre 25 pour ses opposants.

La victoire du Sinn Féin va propulser une Première ministre républicaine à la tête de la province, Michelle O'Neill. Et récompense une campagne où le parti a fait primer les thèmes du pouvoir d'achat et des conditions de vie dans le pays, plutôt que le clivage unioniste / républicain historique, ravivé par le Brexit.

Le logement, fer de lance sur le social

Point central des discours sur les questions sociales du parti: le logement. L'Irlande subit une crise du logement permanente depuis une dizaine d'années, avec des prix prohibitifs et un parc insuffisant. L'âge moyen d'un premier achat immobilier a reculé dans le pays de 29 à 34 ans en l'espace de quinze ans.

Dans son budget alternatif pour cette année, le Sinn Féin proposait plusieurs mesures phares, comme le doublement pur et simple du budget courant dédié au logement, de 1,5 à 3 milliards d'euros, et une interdiction d'augmenter les loyers pendant au moins 3 ans, ou encore un crédit d'impôt de 1500 euros pour les locataires les plus en difficulté.

Récemment, le porte-parole du parti sur les sujets économiques, Pearse Doherty, a aussi attaqué les fonds d'investissements privés - qui détiendraient à l'heure actuelle 1 logement sur 6 loué - en voulant supprimer certains de leurs avantages, et notamment une exonération sur les revenus immobiliers.

L'agressive politique fiscale

Un autre point saillant du discours du parti républicain proche de l'IRA concerne la fiscalité, où il plaide pour une taxation supplémentaire des hauts revenus. Si les partis irlandais s'accordent à penser qu'il faut remodeler l'impôt sur le revenu, trop élevé, le Sinn Féin est plus offensif sur les plus riches.

Ainsi figure dans son programme une taxe de 3% sur les foyers gagnant plus de 140 000 euros par an, soit pour ceux imposables à la plus haute tranche. Des observations estiment que ces foyers les plus riches redonnaient 40% de leurs revenus, contre 43% pour ceux de la troisième tranche.

De même, Mary Lou McDonald a largement évoqué son rejet de la taxe actuellement imposée sur les propriétés immobilières pour tous les foyers, souhaitant la remplacer par un prélèvement sur des actifs de plus haute valeur.

Anti-Brexit

Fort sur ces thématiques sociales, le Sinn Féin a désactivé le débat historiquement structurant de l'union entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. S'il est très opposé au Brexit, il n'en a pas fait son axe de campagne, préférant vanter les avantages d'une réunification irlandaise pour l'économie de la province.

Le tout, à l'inverse du DUP, très opposé au mécanisme de contrôle aux frontières qui sépare aujourd'hui l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni: Jeffrey Donaldson, leader du parti unioniste, faisait encore part de son désaccord avec le processus voté pendant le Brexit:

Le protocole en Irlande du Nord a créé une frontière en mer d'Irlande & représente une menace existentielle pour l'avenir de la place de l'Irlande du Nord au sein de l'Union. Plus le protocole reste en vigueur, plus il nuit à l'Union elle-même."

Pire, le dirigeant du DUP met en balance la suppression de ce mécanisme, implanté pour permettre de ne pas rétablir de frontière "dure" entre les deux Irlande, pour participer à un futur gouvernement.

Le pouvoir britannique maintient de son côté un discours ambivalent sur la question : le secrétaire d'Etat pour l'Irlande du Nord Brandon Lewis, s'il charge régulièrement le mécanisme de douane en mer d'Irlande, a appelé les partis à reformer le plus rapidement possible les institutions de Stormont, alors que les négociations s'annoncent des plus complexes après ce vote. Les deux partis ont devant eux 24 semaines pour trouver un compromis.

Valentin Grille