La BCE baisse ses taux: le timing est-il le bon?

"Enfin", diront certains. La Banque centrale européenne (BCE) vient d'amorcer la baisse de ses taux directeurs ce jeudi, à la faveur d'un ralentissement de l'inflation depuis plusieurs mois en zone euro. Après un cycle de resserrement monétaire entamé mi-2022 et marqué par dix hausses consécutives, cette première baisse de taux est d'une ampleur modeste: 25 points de base, selon les experts.
La BCE grille la politesse pour la première fois de son histoire à la Fed américaine. Mais "c'est le bon moment", assure auprès de BFM Business Christopher Dembik, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM. Pour lui, il est nécessaire de baisser les taux dès à présent pour soutenir un rebond de l'activité en zone euro.
"Le point bas de la croissance de la zone euro a été atteint au premier trimestre. Indéniablement, on a une reprise, mais elle est fragile. L'investissement des entreprises notamment est beaucoup trop faible", observe-t-il.
Or, la baisse des taux conduira en premier lieu à assouplir les conditions de financement et donc potentiellement à stimuler l'investissement, quoique modestement dans un premier temps, compte tenu de la baisse minime de taux qui devrait être annoncée. Il faudra en revanche patienter avant que l'effet de ce changement de politique monétaire ne se diffuse plus largement à l'économie. Selon les économistes, l'effet plein se produit en général au bout de 12 à 18 mois.
La BCE est-elle allée trop loin?
Plus les taux baisseront dans les prochains mois, plus l'impact sur l'activité économique sera fort. Mais certains freinent d'ores et déjà des quatre fers et appellent à la prudence sur le rythme à suivre. Ils rappellent en particulier que le combat contre l'inflation n'est pas totalement gagné alors que l'indice des prix à la consommation harmonisé a augmenté en zone euro à 2,6% sur un an en mai, après 2,4% en avril.
Fallait-il encore attendre avant d'engager le desserrement monétaire? Non, pour Christopher Dembik qui rappelle que "l'inflation en zone euro est volatile et liée à des éléments exogènes comme l'envolée des matières premières, essentiellement de l'énergie".
Il estime dans ce contexte que la BCE aurait même pu baisser ses taux plus tôt, "dès février", car un durcissement de la politique monétaire perd nettement en efficacité lorsqu'il s'agit de lutter contre une inflation importée. À cet égard, l'économiste affirme qu'"on peut s'interroger sur l'ampleur du cycle de durcissement" décidée par la BCE ces derniers mois.
"Cela a entraîné un choc de la demande agrégée" et freiné l'économie tandis que "l'action de la BCE a eu un effet très faible" sur le ralentissement de l'inflation.
Crainte d'une boucle prix-salaires
Un constat partagé par Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyse et prévision à l'OFCE: "On est revenu assez vite dans les clous pour des raisons de désinflation importée, qui sont liée au reflux des prix de l'énergie. Ce n'est pas la hausse des taux qui nous a fait revenir rapidement à cela", indique-t-il sur BFM Business.
Et de rappeler que l'Europe n'était pas du tout "dans le même schéma qu'aux États-Unis". Là-bas, l'inflation est principalement due à des facteurs internes contre lesquels le resserrement monétaire est efficace.
Malgré cela, "on a procédé quasiment aux mêmes hausses de taux en Europe avec des composants d'inflation assez différents. Oui, les taux ont certainement trop monté au regard de la situation actuelle", juge Mathieu Plane.
Si la BCE a joué la montre en ne baissant pas les taux plus rapidement, c'est parce qu'elle craignait que l'inflation exogène en Europe n'entraîne une boucle prix-salaires: face à la hausse des coûts, les entreprises augmentent leurs prix. L'inflation progresse et les salariés réclament des hausses de salaires, ce qui incitent les entreprises à augmenter à nouveau leurs prix, et ainsi de suite. Mais "les études sur le sujet ont montré que cela ne s'est pas matérialisé", constate Christopher Dembik.
Quelles suites?
Reste à connaître les intentions de la BCE pour les prochains mois. Selon une enquête de Bloomberg, 69,6% des économistes interrogés tablent sur trois baisses de taux de 25 point de base en 2024, 21,7% anticipent quatre baisses et 8,7% seulement deux.
Cela dépendra probablement en partie de ce qui se décidera de l'autre côté de l'Atlantique lors de la prochaine réunion de la Fed américaine la semaine prochaine. Car si la BCE "se targue de ne pas être 'Fed-dépendante'", c'est tout l'inverse pour Christopher Dembik:
"On doit tenir compte de la politique monétaire de la Fed qui a un impact sur les taux de change et donc sur l'inflation importée. (...) Je commence à penser qu'elle ne baissera pas ses taux cette année", avance l'économiste.
Ces incertitudes autour de l'action de la banque centrale américaine "réduisent la lisibilité de la politique monétaire en zone euro", poursuit-il. Début mai, le gouverneur de la Banque de Grèce, membre de la BCE, estimait toutefois que "trois baisses de taux d'intérêt en 2024" est le "scénario le plus probable". "Si ce rythme de croissance économique (0,3% en zone euro au premier trimestre, NDLR) se poursuit, la croissance des prix à la consommation sera probablement légèrement supérieure à nos prévisions de mars, mais sans compromettre l'objectif de 2% prévu à la mi-2025", avait-il ajouté.