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Union européenne

Pourquoi le gouvernement italien opte pour le bras de fer avec Bruxelles sur son budget

De gauche à droite: Luigi Di Maio (M5S), le Premier ministre italien Giuseppe Conte, Matteo Salvini (Ligue).

De gauche à droite: Luigi Di Maio (M5S), le Premier ministre italien Giuseppe Conte, Matteo Salvini (Ligue). - Andreas Solaro - AFP

Les leaders de la coalition au pouvoir ont décidé de creuser le déficit de l'Italie l'année prochaine pour respecter leurs promesses électorales. En sortant des clous européens, Rome a choisi de se lancer dans un bras de fer avec Bruxelles, ravivant l'incertitude sur les marchés financiers.

À Rome, les discussions se sont terminées tard jeudi. Au dernier moment, les leaders de la coalition au pouvoir, Matteo Salvini (Ligue) et Luigi Di Maio (M5S), se sont mis d'accord sur un déficit de 2,4% du PIB pour le budget 2019 et les deux années suivantes.

Ils ont finalement fait plier le ministre des Finances italien, Giovanni Tria, qui voulait bâtir un budget avec un déficit de 1,6% du PIB pour 2019. Ce niveau était déjà le double de celui sur lequel s'était engagé le précédent gouvernement, mais il était suffisant pour respecter les traités européens. En décidant de creuser davantage le déficit, Rome ne réduira pas sa dette, qui s'élève à 132% du PIB, et prend le risque de se fâcher avec Bruxelles.

Tenir ses promesses électorales

Il est vrai que si la coalition avait choisi de garder l'objectif de 1,6%, elle aurait été "obligée de revoir totalement ses engagements électoraux, car il ne serait rien resté de leurs promesses de campagne", souligne Céline Antonin, économiste à l'OFCE et spécialiste de l'Italie.

En faisant passer le déficit à 2,4%, la coalition s'accorde une marge de 15 milliards d'euros supplémentaires, estime Il Sole 24 Ore. Ce chèque permet d'inclure les mesures phares de chacun des deux camps au pouvoir. D'un côté les baisses d'impôts promises par la Ligue, avec l'instauration d'une "flat tax", de l'autre la hausse des minima sociaux voulue par le M5S, avec la création d'un "revenu de citoyenneté" de 780 euros.

La coalition préfère miser sur la croissance

Si Bruxelles veut que l'Italie réduise son déficit, c'est pour qu'elle puisse faire baisser sa dette, la plus grosse de la zone euro après la Grèce. Pour l'instant, elle reste soutenable, mais en cas de crise ou de remontée des taux d'intérêt, Rome pourrait avoir des difficultés à l'honorer.

Du point de vue de la coalition, cette stratégie n'est pas payante car, si on retire le coût du remboursement de la dette, l'Italie dégage un excédent budgétaire depuis 2010! Pour autant, sa dette ne s'est pas résorbée significativement.

La coalition préfère alors miser sur la relance de la croissance. Celle-ci est très molle, seulement 1,6% en 2017 contre 2,6% pour la moyenne de la zone euro. En juillet, la Banque d'Italie prévoyait 1,3% pour cette année et 1% pour l'année prochaine. Le budget italien venant tout juste d'être bouclé, il est difficile de savoir dans quelle proportion il va stimuler la croissance. Mais sur le principe, "une expansion budgétaire a forcément des effets positifs", estime Céline Antonin.

Rome fait machine arrière sur les réformes structurelles

Aux yeux de Bruxelles, cette stratégie ne justifie pas que Rome s'écarte de ses engagements européens. "Faire de la relance quand on a une dette très élevée ça finit par se retourner sur ceux qui le font", a lancé Pierre Moscovici sur BFMTV-RMC ce vendredi.

"On peut faire des mesures sociales tout en réduisant les déficits. Comment ça? En faisant des choix. En faisant en sorte de couper dans les dépenses qui ne sont pas efficaces, et il y en a, et en augmentant les dépenses qui préparent l'avenir ou qui sont pour la justice sociale", a poursuivi le commissaire européen aux Affaires économiques.

Pierre Moscovici reproche à Rome de ne pas engager de réformes structurelles. De Mario Monti à Matteo Renzi, les précédents gouvernements se sont plié à l'exercice. La coalition au pouvoir donne même "l'impression de faire machine arrière", observe Céline Antonin. Cet été, Rome est déjà revenu sur le "Job Act", une loi qui avait flexibilisé le marché du travail.

Entre le retour sur les réformes recommandées par la Commission et le non-respect du traité budgétaire, le dialogue avec Bruxelles, qui démarrera mi-octobre, s'annonce compliqué. "La Commission veut que ses règles soient un minimum appliquées", analyse l'économiste de l'OFCE. "Si un des mauvais élèves relâche la contrainte, le risque est que tout le monde fasse pareil..." Bruxelles va devoir convaincre Rome de faire des concessions. S'il n'y parvient pas et qu'il juge le dépassement trop important, les traités prévoit des sanctions, mais elles n'ont jamais été appliquées jusqu'à présent.

Les taux d'emprunt italien remontent

En attendant, l'incertitude sur la soutenabilité de la dette italienne a repris de la vigueur sur les marchés financiers, qui s'étaient pourtant apaisés à la rentrée. Depuis l'annonce du déficit à 2,4% jeudi, le taux d'intérêt auquel Rome emprunte sur les marchés a de nouveau bondi. Problème: plus emprunter coûte cher, moins le gouvernement pourra financer ses mesures. Si Rome se lance dans un bras de fer dur avec Bruxelles, la situation risque d'empirer.

Les parlementaires italiens seront certainement attentifs à l'évolution des marchés. Si la coalition bénéficie d'une large majorité à la chambre des députés, elle n'est que de huit sièges au Sénat. Matteo Salvini et Luigi Di Maio seront-ils forcés de faire des concessions?

Jean-Christophe Catalon