"Guerre commerciale sur deux fronts": les importations chinoises en Europe pourraient grimper de 10%

Un Himalaya se dresse devant l'Europe et les droits de douane de Donald Trump ne sont que l'un des sommets. "L'Union mène en réalité une guerre commerciale sur deux fronts", observe l'économiste Sander Tordoir sur X. La Chine et ses exportations industrielles colossales sont l'autre mâchoire d'un étau qui se referme. L'Allemagne, moteur de l'Europe, en ressent déjà l'étreinte.
"Les distorsions chinoises sont importantes sur le plan macroéconomique, contribuant à la perte de 5% du PIB allemand", observe Sander Tordoir, économiste en chef au Centre for European Reform (CER), un institut de recherche.
Cette menace pourrait encore se renforcer alors que les exportateurs chinois font face à des droits de douane élevés aux États-Unis (30% à ce stade). Pour écouler les marchandises, ils risquent de se tourner davantage vers l'Union européenne. "Cette réorientation pourrait être importante", selon une note publiée le 31 juillet par des économistes de la Banque centrale européenne (BCE).
Jusqu'à + 10%
"La zone euro pourrait voir ses importations en provenance de Chine augmenter jusqu'à 10 % en 2026", écrivent ces économistes, en retenant un scénario "critique", marqué par une aggravation des tensions commerciales. Dans un scénario plus modéré, ces importations augmenteraient de 7 à 9%.
Selon les hypothèses retenues, la zone euro pourrait donc acheter entre 35 et 51 milliards d'euros de produits chinois supplémentaires. Cela risque d'accroître encore le déficit commercial de l'UE vis à vis de Pékin, qui s'élevait l'an passé à 304,5 milliards d'euros (soit environ 10% de ce que la France produit en une année).
Les économistes de la BCE préviennent que l'UE est plus vulnérable qu'il y a sept ans, et la première guerre commerciale sino-américaine, lors du précédent mandat de Donald Trump.
"De nombreuses entreprises de la zone euro dépendent déjà des importations chinoises, ce qui facilite l'absorption des biens réorientés", expliquent-ils.
Un effet possible sur les prix
De plus, la monnaie chinoise, le yuan, a tendance à se déprécier par rapport à l'euro (1 yuan vaut actuellement 12 centimes).
"Cela rend les produits chinois moins chers et plus attractifs pour les importateurs européens", indiquent les économistes de la BCE.
Ces derniers ajoutent également que "les autorités chinoises ont promis un soutien ciblé pour aider les exportateurs" touchés par les droits de douane.
Cet afflux de produits chinois pourrait créer "un excédent d'offre de biens" et au final une baisse des prix en Europe. "Nous constatons que des exportations chinoises supplémentaires pourraient faire baisser l’inflation globale de l’IPCH d’environ 0,15 point de pourcentage en 2026, avec des effets plus faibles persistant jusqu’en 2027", écrivent les auteurs de la note.
À première vue, une baisse des prix semble être une bonne nouvelle. Mais, cette pression déflationniste liée à l'afflux de produits étrangers à prix bas risque en fait de détruire des emplois sur le sol européen.
La Chine importe de moins en moins
Cette menace est d'autant plus prégnante qu'au contraire, Pékin tend à limiter ses importations. Les exportations mensuelles de l’UE vers la Chine ont diminué significativement entre janvier 2023 (19,3 milliards d'euros) et décembre 2024 (16,8 milliards d’euros) selon Eurostat.
Cette tendance concerne la France et surtout l'Allemagne, dont la croissance est en berne.
"Au cours des cinq premiers mois de l'année, les exportations allemandes vers la Chine se sont effondrées, tandis que les importations en provenance de la République populaire ont augmenté de manière disproportionnée", constatait fin juillet le German Economic Institute (IW).
Selon ce rapport, l'économie allemande a exporté 14,2% de moins que l'année précédente. C'est près d'un quart de moins qu'il y a trois ans.
Cette tendance se matérialise particulièrement dans l'automobile. Dans ce domaine, Pékin importe aujourd'hui pour moins de 30 milliards de dollars par an (26 milliards d'euros) depuis l'UE, contre près de 50 milliards de dollars (43 milliards d'euros) il y a encore quatre ans, selon les données compilées par l'économiste américain Brad Setser, du Council on Foreign Relations (CFR).
En clair, l'UE importe de plus en plus de biens depuis la Chine et en exporte de moins en moins.
"Second choc chinois"
Dans une récente note, Brad Setser, ancien conseiller de la Maison Blanche sur l'économie internationale, estime que "l'essor continu du secteur manufacturier chinois érode les principaux atouts des exportations européennes."
L'Empire du milieu n'est plus "l'usine du monde" alimentant les ménages européens en t-shirts et en micro-ondes pas chers. Le plan décennal lancé par Xi Jinping en 2015 l'a transformé en une grande puissance industrielle.
La Chine maîtrise "les voitures, les équipements de construction, les robots industriels, la plupart des produits chimiques, les batteries électriques, les aimants permanents, les panneaux solaires, les diamants industriels, les éoliennes et les TGV", égrène Brad Setser.
Les industriels chinois concurrencent donc les Européens sur leur terrain historique, et les dépassent désormais dans de très nombreux domaines.
Dans ce contexte, de nombreux économistes prédisent un "second choc chinois", concentré sur le Vieux Continent, après un premier dans les années 2000. Ce dernier a surtout touché les États-Unis, où il a contribué à détruire des centaines de milliers d'emplois dans l'industrie et semé les germes d'une colère ayant participé à mener Donald Trump au pouvoir.
Ce sujet était au cœur du dernier sommet entre l'UE et la Chine fin juillet à Pékin.
"À mesure que notre coopération s'est approfondie, les déséquilibres se sont aussi accentués. Nous sommes arrivés à un moment charnière. Il est essentiel de rééquilibrer nos relations bilatérales", avait alors fait remarquer Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, à Xi Jinping.
Jusqu'ici, la réponse européenne a été timide et les États membres se sont divisés quant aux remèdes à apporter, comme l'ont montré les très longues discussions ayant mené à l'imposition de droits de douane sur les voitures électriques produites en Chine.
"Neijuan"
En face, le modèle économique chinois est structurellement déséquilibré et très dépendant des exportations industrielles. Cette tendance s'est renforcée depuis le début de la crise immobilière qui touche le pays et a fortement pénalisé les ménages.
Pour compenser l'affaiblissement de la demande intérieure et atteindre les objectifs de développement économique fixés par le Parti communiste chinois (PCC), les collectivités locales chinoises ont massivement poussé les investissements industriels, comme le relatait récemment le Financial Times.
Si bien que la Chine dispose aujourd'hui de capacités de production colossales.
D'ici 5 ans, le pays pourrait capter 40% de la richesse créée par l'industrie manufacturière dans le monde contre 27% aujourd'hui, selon Yan Se, professeur d'économie à l'université de Pékin, cité par le Financial Times. La France représente moins de 2%, les États-Unis 15%.
Cette course effrénée crée des perturbations importantes dans l'Empire du milieu, où les industriels ont tendance à compresser leurs marges pour survivre à une concurrence féroce. Les autorités promettent de s'attaquer à ce phénomène -appelé localement "neijuan (involution)- mais cela suppose des réformes d'ampleur. L'Union européenne n'a sans doute pas le luxe d'attendre que la Chine change.