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Union européenne

Décrochage de l'Europe: Christine Lagarde défend l'importance d'un marché unique des capitaux

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Dans un entretien au Monde, la présidente de la Banque centrale européenne fait le lien entre le décrochage de l'Europe et sa tendance à vouloir davantage réguler que le reste du globe.

"Quand vous comparez le PIB aujourd’hui avec celui de 2019, les Etats-Unis ont progressé de 10,7 %, alors que la moyenne européenne est de 4,8 % et celle de la France de 3,7 %, en décalage par rapport à la moyenne européenne", s'inquiète Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne depuis 2019.

Et sur les promesses du gouvernement français actuel de redressement de ses comptes publics, Christine Lagarde botte en touche: "l’application des règles budgétaires européennes doit servir de ligne directrice impérative".

Le fossé économique entre l'Europe et les États-Unis avait déjà constaté par l'ancien président de la BCE Mario Draghi début septembre, qui évoquait dans un rapport un "défi existentiel" pour relancer la productivité en Europe. Lui aussi soulignait le besoin de mobiliser les capitaux privés pour financer l'innovation à travers la création d'une véritable "union des marchés de capitaux".

Un facteur technologique crucial

"Le décrochage de l’Europe est une réalité, celui de la France aussi", poursuit Christine Lagarde tout en admettant que la prédominance des Etats-Unis sur le secteur des nouvelles technologies leur ont sans doute permis d'être plus productifs. Une perspective qui pourrait se répéter "avec l’intelligence artificielle, l’accumulation des centres de données [data centers] et l’exploitation de celles-ci".

L'urgence de plus de souveraineté est ainsi invoquée, avec le besoin fondamental de convaincre nos entreprises innovantes et talents de ne pas succomber aux sirènes outre-Atlantique. Pour convaincre nos cerveaux de rester en Europe, le principal levier serait de simplifier les lourdeurs administratives existantes.

"Pendant ce temps-là, l’Europe non seulement n’a pas de grands champions, mais fait figure de pionnière dans la réglementation applicable à l’intelligence artificielle. Cela amène les acteurs de ce secteur d’activité à se dire : Allons faire ça ailleurs, ce sera plus simple et nous aurons moins de barrières et de contraintes", pointe Christine Lagarde.

Un cadre réglementaire européen contraignant

L'Europe est friande de régulation, ce qui pourrait contribuer à ralentir l'élan d'innovation, tandis que les critères "pour pouvoir bénéficier des aides à l'implantation sur le territoire américain" sont bien moins contraignants. "Quand j’interroge des industriels, ils sont à peu près unanimes pour dire que, en Europe, le processus est lourd et compliqué, explique-t-elle. Le millefeuille européen est agrémenté de la réglementation des États membres".

À cela s'ajoutent des prix de l'énergie et un coût du travail qui peuvent grandement finir de dissuader des industriels de s'implanter sur le Vieux Continent. Mais le facteur déterminant pour Christine Lagarde reste surtout celui des financements privés. Autrement dit, le manque d'instruments permettant aux épargnants de contribuer "à l'avenir de l'économie ou à l'évolution de la Bourse" - comme cela peut être le cas aux États-Unis.

"Dans de nombreux pays en Europe, nous sommes encore loin de ces mécanismes, notamment de distribution d’actions ou de participation aux profits de l’entreprise. D’où la nécessité de développer une union des marchés de capitaux", insiste Christine Lagarde.

Cela fait en revanche plus de 15 ans que la perspective d'une union des marchés de capitaux en Europe est évoquée, sans réelle mise en œuvre. "Mais ce qui me donne de l’espoir, c’est l’engagement de toutes les instances européennes pour avancer vers le marché unique des capitaux", se rassure-t-elle, citant le récent conseil des gouverneurs de la BCE qui va dans ce sens.

Pierre Berthoux