Usage de l’IA au ministère de l’Économie: des efforts à saluer mais des économies surestimées

Le ministère de l'Economie à Bercy, le 5 juin 2023 - AFP
Ciblage de la fraude fiscale, chatbots permettant de répondre à l’usager ou aux entreprises, contrôles de déclarations foncières grâce à des prises de vue aériennes…Cinq systèmes utilisant l'intelligence artificielle (IA) sont concernés par des réductions de dépenses. Mais pour la Cour des Comptes, dans son rapport publié le 22 octobre, les économies ont été surévaluées, et les impacts RH ne sont pas encore assez documentés.
Depuis 2015, les agents fondent certaines de leurs analyses sur l’IA au ministère de l'Économie et des Finances, et ce avant même donc qu’une stratégie nationale pour l’IA ne soit définie en mars 2018. Le montant total des coûts de ces systèmes d’IA (dont 13 sont exploités, 8 en cours de développement et 14 en étude) s’élève à 66,3 millions d’euros, dont 30,2 millions d’euros sont payés par le FTAP, un fonds gouvernemental qui investit dans la transformation de l’action publique.
20 millions d’euros d’économies par an, bien moins que ce qui était prévu
L’IA a permis de réaliser plus de 20 millions d’euros d’économies annuelles à compter de 2022, rapporte la Cour. Un montant bien inférieur aux 46,6 millions d’économies annuelles prévues à compter de 2022, et 60,7 millions d’euros pour 2024, notamment en allégeant le ministère de 1.013 équivalents temps plein par rapport à 2019. Par ailleurs, les gains des recettes fiscales permises en identifiant via l’IA des biens fonciers non déclarés ont été réajustés. Ils étaient évalués à 130 millions d’euros en 2022 par la Dgfip, montant ensuite revu à 40 millions d’euros.
Une différence qui s’explique car les hypothèses retenues par la Dgfip sont "élevées et peu justifiées", tacle la Cour. Des données sont aussi manquantes concernant un des programmes ("foncier innovant"). Les critères d’évaluation du FTAP doivent être "enrichis", souligne la Cour, car certaines conséquences de l’utilisation de l’IA n’ont pas été documentées.
Par exemple, avec l’IA, il y a eu une augmentation de 5,7% (+20.356) du nombre de piscines imposées, ce qui a engendré une augmentation de la charge de travail des agents. Il y a aussi les faux positifs qu’il faut contrôler, ou les usagers qui appellent l’administration car ils voient leurs habitudes bousculées avec le recours à l’IA.
L’IA améliore la productivité mais ne débouche pas forcément sur des suppressions de postes
L’IA améliore la productivité mais ne va pas toujours permettre de "libérer" des emplois, explique la Cour des Comptes. Certains projets ont supprimé des équivalents temps plein (ETP), comme le projet sur le ciblage de la fraude qui a abouti à mobiliser 427 ETP de moins qu’en 2018. Il permet la détection des dossiers à risque via un algorithme. Le nombre de dossiers proposés au contrôle fiscal, lui, est resté stable.
Dans d’autres cas, l’IA va permettre de redéployer les agents sur d’autres tâches. Ainsi le système d’IA "LLaMmendements" permet à l’agent de passer moins de temps à classer et résumer les amendements du Parlement. Les agents sont redéployés pour améliorer la qualité et les délais des réponses apportées.
Parfois, l’IA va aboutir à une augmentation de la charge de travail tout en augmentant l’offre proposée. Ainsi dans le cas des chatbots: l’usager sollicite davantage l’administration, qui consacre plus de temps qu’auparavant à répondre aux demandes auxquelles l’IA ne peut pas répondre.
Pour la Cour des comptes, cette affectation des gains de productivité doit gagner en visibilité.
Documenter davantage, dès la phase d'études préalables
Ces forts enjeux sur l’organisation du travail n’ont pas été suffisamment documentés par le ministère, selon la Cour des Comptes. Le recours à l’IA suscite une appréhension de la part des usagers et des agents publics, comme en atteste une enquête de satisfaction réalisée en 2023 auprès de 7.800 agents de la Dgfip par l'organisation syndicale Solidaires. 85% d’entre eux ne sont pas satisfaits du recours à l’IA, conclut l’étude.
La Cour recommande donc au ministère de l’Économie et des Finances d’établir une carte des processus pour lesquels le recours à l’IA pourrait apporter des gains significatifs. Elle conseille aussi de documenter à l’échelle de chaque projet les implications de l’IA en terme de RH, et ce dès la phase d’études préalables.
Pour la Cour, les aspects technologiques de l’IA sont bien maitrisés "et témoignent de la capacité de ses services à développer des programmes concernant aussi bien les relations externes que les fonctions support de l’administration".
Cependant, elle regrette quel le développement de l’IA se concentre sur la gestion financière et fiscale et la lutte contre les fraudes. Le potentiel de l’IA devrait être testé aussi sur la direction générale du Trésor ou encore la direction du Budget. Elle préconise une instance pour piloter la démarche au niveau ministériel ainsi que la création d’un incubateur IA rattaché au secrétariat général du Minefi (déjà amorcé en 2014), qui permettrait d’éviter de disperser le financement des projets et de les étendre à l’échelle souhaitée.