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Christine Lagarde parie toujours sur une baisse de l'inflation l'an prochain. Fait-elle fausse route?

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La présidente de la BCE table sur une baisse significative des prix de l'énergie. Mais du côté des Etats-Unis et de certains analystes, le caractère transitoire de l'inflation doit être remis en cause.

Depuis que les prix flambent en Europe, la Banque centrale européenne (BCE) ne cesse de marteler que le phénomène est transitoire. Tout simplement parce que cette hausse des prix est essentiellement alimentée par le bond sans précédent des prix des énergies: gaz et électricité.

Ce vendredi, sa présidente Christine Lagarde confirme à nouveau cette position. A Reuters, elle déclare: "nous avons des raisons de penser que les prix de l'énergie vont baisser significativement d'ici la fin 2022. L'inflation va se rapprocher de l'objectif (2%, NDLR) au cours de 2023.

Plus tôt, elle déclarait: "Les mesures de l'inflation sousjacente" (hors prix de l'énergie et des matières premières) "évoluent dans la bonne direction". L'inflation, est selon elle "largement poussée à la hausse par les circonstances exceptionnelles créées par la pandémie".

+4,9% en Europe, +6,2% aux Etats-Unis: des records

Rappelons que selon l'estimation mensuelle publiée par Eurostat, le taux d'inflation dans la zone euro a atteint un niveau record en novembre à 4,9% sur un an, soit le niveau le plus élevé depuis le début de ses estimations il y a plus de 20 ans.

Le caractère transitoire de l'inflation est également partagé par de nombreux analystes.

Dans une note, Xerfi explique: "le scénario d’un nouveau super-cycle d’augmentation des prix des matières premières n’est pas d’actualité, même si la hausse des cours va venir gonfler (modérément selon notre scénario) l’inflation. L’inflation est, jusqu’à maintenant, quasi exclusivement nourrie par la flambée des prix de l’énergie, du pétrole en particulier: sur les 2,6 points d’inflation d’octobre dernier, 1,5 point a pour origine l’énergie, en hausse de plus de 20% sur un an. De leur côté, les prix dans les services restent coincés sous la barre des 2% et ceux des produits manufacturés ne dépassent pas 0,5%".

Et de poursuivre: "Expurgée de la composante énergie (et également des produits alimentaires, habituellement volatils), l’inflation sous-jacente témoigne d’une plus grande sagesse des prix en naviguant entre 1% et 1,2%. Compte tenu du repli attendu des cours des matières premières en 2022, le soufflé de l’inflation devrait retomber et la hausse des prix à la consommation converger à nouveau vers sa tendance de fond".

Risques croissants d'inflation persistante

Une perspective rassurante qui fait néanmoins débat. Au Etats-Unis, la Fed commence à sérieusement douter de ce caractère transitoire. Rappelons qu'outre-Atlantique, par rapport à octobre 2020, les prix ont augmenté de 6,2% contre 5,4% en septembre, soit la plus forte hausse enregistrée depuis fin novembre 1990.

"Nous avons tendance à utiliser [le mot transitoire] pour signifier que cela ne laissera pas une marque permanente sous la forme d'une inflation plus élevée", a ainsi déclaré le président de la banque centrale américaine Jerome Powell, au Congrès ce mardi. "Je pense que c'est probablement un bon moment pour retirer ce mot et essayer d'expliquer plus clairement ce que nous voulons dire."

Traduction, les responsables de la Réserve fédérale reconnaissent le risque croissant d'une inflation plus persistante, les goulets d’étranglement, la hausse du prix des matières premières et de certains biens étant persistants.

"On voit mal combien de temps Christine Lagarde pourra encore tenir son discours sur l’inflation transitoire"

De ces deux discours désormais parfaitement opposés (alors qu'ils étaient jusqu'alors parrallèles), qui a raison?

"L'inflation aux Etats-Unis n'est pas la même qu'en Europe, a tenu à rappeler Laurence Boone sur BFM Business. Ce qu'on montre dans nos prévisions c'est que ça fait un an qu'on repousse la baisse de l'inflation à un peu plus loin dans le temps parce que les tensions sur les chaînes de production persistent."

Même si les méthodes de calcul de l'inflation en Europe et aux Etats-Unis sont différentes, la banque Mirabaud estime dans une note que la BCE fait désormais fausse route dans son analyse de la situation.

"Le récent changement de ton du président de la Réserve fédérale américaine est tout à fait logique face à une réalité que l’on ne peut nier: l’inflation va durer plus longtemps que prévu" peut-on lire.

"On peut affirmer, sans prendre trop de risques, que l’une des deux banques centrales (BCE ou Fed) est actuellement trop "mesurée" ou au contraire trop "enthousiaste" quand il s’agit de la question de l’interprétation de l’inflation. Au regard de l’évolution des récentes données et statistiques, il semble que cette tâche incombe à Christine Lagarde".

"On devrait donc assister très prochainement à un changement de discours profond de la part de la présidente de la BCE qui pourrait admettre que l’inflation devrait durer plus longtemps qu’anticipée initialement (et jusqu’à aujourd’hui)", poursuit la banque. On voit mal combien de temps Christine Lagarde pourra encore tenir son discours sur l’inflation transitoire".

Un nouveau risque: la hausse généralisée des salaires

Cette "spirale inflationniste" européenne pourrait-elle être alimentée par une nouvelle source, celle des hausses de salaires observées dans de nombreux pays pour répondre à la flambée des prix à la consommation et/ou face aux pénuries de main d'oeuvre comme en France?

Sur ce point, la BCE estime que ce risque n'est pas encore palpable. Toujours à Reuters ce vendredi, Christine Lagarde déclare: "Nous avons observé des hausses de salaires à la fin 2021 mais il ne s'agit pas encore d'effets de second tour de l'inflation".

Laurence Boone, la cheffe économiste de l'OCDE partage cette position. "Ce qu'on ne veut pas voir c'est une boucle infernale où il y a une course entre les prix et les salaires. On peut revaloriser les salaires sans faire une course. On peut avoir un rattrapage des salaires sans l'avoir tous les six mois ce rattrapage."

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business