Brexit: le compte à rebours est lancé, bisbille entre la Commission et certains Etats membres

La présidente de la Commission Ursula von der Leyen à Bruxelles le 23 septembre 2020 - STEPHANIE LECOCQ © 2019 AFP
Elles devaient s’achever mi-octobre, puis fin octobre, puis mi-novembre… Finalement, les négociations autour de l’accord commercial post-Brexit qui doit définir les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne s’éternisent. A moins d’un mois de la fin de la période de transition, les discussions se poursuivent entre Londres et Bruxelles pour tenter de décrocher un compromis sur le fil et éviter une rupture sèche au 31 décembre qui aurait de lourdes conséquences pour les économies européennes et britannique.
Notamment parce qu’un divorce brutal aurait pour conséquence le rétablissement de coûteux droits de douanes qui régiraient les échanges entre le Royaume-Uni et l’UE, comme le prévoient les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Sans oublier le risque d’embouteillages monstres de camions sur les routes menant aux ports et les files d’attente interminables à la frontière où les autorités procéderont aux contrôles des passeports. Dans ces conditions, des pénuries temporaires de certains produits ne sont pas à exclure.
La Commission veut conclure jeudi
Si Britanniques et Européens sont d’accord pour conclure un accord de libre-échange sans quota ni droit de douane pour limiter la perturbation des échanges, les négociations butent toujours sur trois points majeurs: les conditions d’accès aux eaux britanniques pour les pêcheurs européens, les conditions de concurrence équitable (comment s’assurer que le Royaume-Uni ne reverra pas ses normes sociales et environnementales à la baisse une fois officiellement sorti de l’UE?) et la gouvernance du futur accord pour régler d’éventuels litiges.
Prête à jeter ses dernières forces dans la bataille pour arriver à un accord, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a dit vouloir conclure dès jeudi. "Soit un accord est trouvé, soit ce sera la fin", résume une source européenne. Pour y parvenir, elle a dépêché à Londres l’une de ses proches collaboratrices, la Française Stéphanie Riso, avec l’objectif "d’accélérer les négociations, avec des concessions qui risquent d’aller au-delà de ce qui a été accepté par les Etats membres", selon une autre source bruxelloise.
Ursula von der Leyen prend la main, la France s’agace
De quoi provoquer la crispation de certains pays qui se veulent particulièrement fermes depuis le début des discussions. C’est le cas de la France, mais aussi de l’Espagne, de la Belgique, des Pays-Bas ou du Danemark qui auraient fait part à Michel Barnier, le négociateur de l’UE, d’une certaine "frustration", voire d’une "nervosité" face au surplace des pourparlers. Au point que certains craignent, selon Les Echos, qu’un accord entre Bruxelles et Londres soit rejeté dans la foulée par les Etats membres, créant une division entre les 27.
"Il y a un malaise croissant parmi les Etat membres à l'idée que Mme von der Leyen fasse tout pour obtenir un accord et le sentiment est que cela doit s’arrêter", a encore confié une source européenne. L’initiative de la cheffe de l’exécutif européen a même été jugée "à risque", par un proche du dossier, estimant que Michel Barnier "n’aurait plus la main" et que les négociations seraient menées par le cabinet de la présidente de la Commission.
L’Elysée a réagi dès lundi soir par une mise en garde très ferme: "Nous n’accepterons pas un accord dégradé qui ne respecterait pas nos intérêts", a averti le Palais dans un communiqué. "Si on est clair sur nos intérêts et si on défend nos intérêts, on doit les garder jusqu'au bout", a également expliqué le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune. "Mais on a toujours tendance à faire l'inverse. C'est-à-dire à croire que nous sommes faibles, que nous devons faire des gestes et trouver des compromis ou des accommodements", a-t-il regretté.
Auprès des Echos, une source non française a dit pour sa part avoir "de sérieuses inquiétudes concernant les termes d’un accord" et estime qu’un "no deal" ne serait finalement pas le pire des scénarios par rapport à celui qui consisterait à trouver un compromis dans la précipitation: "Au fond, un Brexit sans accord ne ferait que repousser la perspective d’un compromis: pour des raisons évidentes, Londres et les 27 ont vocation, tôt ou tard, à trouver les bases d’une relation fluide", a-t-elle déclaré.
Un accord commercial toujours incertain, selon Barnier
Dès mardi, le président du Conseil européen, Charles Michel, a tenté de rassurer, affirmant que l’UE veillera "sous le leadership du négociateur en chef (Michel Barnier) à ce que l’ensemble des Etats membres soient parfaitement associés, mobilisés, informés dans ce processus de négociation".
Michel Barnier qui a justement fait savoir aux Etats membres ce mercredi qu’un accord commercial avec le Royaume-Uni restait toujours incertain. "Barnier ne peut pas dire si les conditions pour un accord seront réunies dans les prochains jours", confie une source européenne. Et une autre de renchérir: "Ce matin, la capacité des négociateurs à surmonter" leurs divergences sur les trois points de blocage "n’est toujours pas claire".
Rappelons par ailleurs que si un compromis était trouvé entre les équipes du négociateur de l’UE et de son homologue britannique, David Frost, il devra encore être ratifié par les Parlements respectifs.
Les entreprises britanniques invitées à se préparer
Côté britannique, le Premier ministre Boris Johnson s’est dit prêt à l’option du "no deal", assurant que cela n’empêcherait pas le Royaume-Uni de prospérer et de nouer des accords avantageux avec de nombreux pays dans le monde.
Mais même en cas d'accord sans droits de douane ni quotas, les entreprises seront soumises à de nouvelles procédures administratives chronophages et à de nouveaux contrôles freinant les déplacements. Le gouvernement a reconnu de "probables perturbations à court terme à la frontière", et a averti des millions d'entreprises des défis à venir.
Un centre d'opérations va être mis en place pour contrôler les mouvements des biens et des personnes à la frontière. Ce centre, qui fonctionnera 24 heures sur 24, sept jours sur sept, a pour but de fournir des informations en temps réel permettant aux autorités de réagir rapidement pour limiter les délais à la frontière.
Pour juguler le trafic routier, les autorités ont lancé la construction de dix vastes parkings pour camions dans le sud de l'Angleterre. L'un d'eux se trouve à Ashford, dans le Kent. "Quel que soit le résultat de nos négociations avec l'UE, il y a des changements certains auxquels les entreprises doivent se préparer dès maintenant", a déclaré Michael Gove, le ministre chargé de coordonner l'action du gouvernement. "Il n'y a pas de temps à perdre".