Brexit: la démission de Theresa May renforce-t-elle le risque d'un no deal?

Theresa May annonçant sa démission le 24 mai 2019 - Tolga AKMEN / AFP
Le couperet est tombé. Incapable de mettre en œuvre le Brexit trois ans après le vote, Theresa May a été contrainte de démissionner ce vendredi. La voix étranglée par l’émotion, la Première ministre britannique a annoncé qu’elle quitterait officiellement ses fonctions de cheffe du Parti conservateur, et donc de cheffe du gouvernement, le 7 juin.
Si cette décision sonne comme un nouveau départ pour les Tories (membres du Parti conservateur), elle ne règle en rien la question du Brexit, censé être acté le 31 octobre. Elle renforce même un peu plus la probabilité d’un no deal, c’est-à-dire d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord. Le scénario le plus redouté par Bruxelles et les milieux économiques.
"Réalité quasi impossible à arrêter"
"Un Brexit dur paraît dans ces circonstances une réalité quasi impossible à arrêter. Le gouvernement britannique, le Parlement britannique sont les uniques responsables d’une sortie sans accord et de ses conséquences", a réagi ce vendredi la porte-parole du gouvernement espagnol, Isabel Celaa.
Ce départ "signifie que nous entrons maintenant dans une nouvelle phase en ce qui concerne le Brexit, une phase qui pourrait être très dangereuse pour l'Irlande", a déclaré de son côté le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar. Dublin redoute en effet un Brexit dur qui se traduirait par un retour d'une frontière physique entre l'Irlande, membre de l'UE, et la province britannique d'Irlande du Nord.
Plusieurs "hard-brexiters" pressentis pour succéder à Theresa May
Revoilà donc le spectre du "Brexit dur" planant au-dessus du Royaume. Lui que l’on pensait pourtant éloigné depuis la décision en avril du Conseil européen de repousser une fois encore le Brexit au 31 octobre pour permettre à Theresa May de faire passer l’accord de sortie négocié avec Bruxelles à la Chambre des Communes. En vain.
Désormais, le départ de Theresa May change la donne. D’ici la fin du mois de juillet, le Parti conservateur tiendra une succession de votes des députés tories afin de déterminer deux candidats à sa succession. Les 100.000 militants du parti seront ensuite chargés de les départager pour désigner celui qui logera au 10 Downing Street. Or, selon le Financial Times, une écrasante majorité de ces militants sont favorables à un Brexit dur ou à un no deal.
Cela tombe bien. Plusieurs personnalités politiques adeptes d’une ligne dure se bousculent déjà pour prendre la place de Theresa May. Parmi eux, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, fait figure de grand favori. Il est "temps de mettre en œuvre le Brexit", a-t-il lâché ce vendredi. Il pourrait être en concurrence avec l’ex-ministre du Brexit et europhobe Dominic Raab. Le ministre pro-brexit de l’Environnement Michael Gove, le ministre de l’Intérieur Sajij Javid ou encore l’ancienne ministre chargée des Relations avec le Parlement Andrea Leadsom sont autant de candidats potentiels.
Or, pour certains d'entre eux, dont Boris Johnson et Dominic Raab, il semble préférable de quitter l’Union européenne brutalement plutôt que d'en sortir avec l’accord négocié par Theresa May.
Pas de modification de l'accord possible...
Dans ces conditions, pourquoi ne pas renégocier le texte, qui déplaît tant aux hard-Brexiters, pour revoir les modalités de sortie afin d’éviter une rupture brutale? Impossible pour Bruxelles qui a toujours refusé de rouvrir les discussions pour rédiger un nouveau traité de sortie. "Ce traité (négocié avec Theresa May, ndlr) est le seul possible et le restera", rappelait encore Michel Barnier en mars.
Et l’UE semble bien décidée à camper sur ses positions: "Nous respecterons le nouveau Premier ministre mais rien ne changera sur la position adoptée par le Conseil européen pour l'accord de sortie", a déclaré ce vendredi la porte-parole adjointe de la Commission européenne MIna Andreeva.
Plusieurs dirigeants européens ne semblent pas davantage ouverts à accorder une nouvelle prolongation du Brexit pour éviter une sortie sans accord. En particulier Emmanuel Macron qui a lui-même déjà fait savoir à plusieurs reprises qu’il était contre une extension jusqu’en 2020. Le chef de l’État avait justifié sa position en expliquant que le Brexit retardait les avancées du projet européen et qu’il fallait respecter la volonté du peuple britannique. Ce vendredi, il a appelé à une "clarification rapide".
...ni de prolongation
La patience des Européens ne semble donc pas illimitée. "J’en ai marre d’attendre la prochaine prolongation", a déclaré mercredi le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Seul un signal fort pourrait désormais encourager Bruxelles à accorder un nouveau délai. Il pourrait s'agir de l’organisation d’un second référendum, d’élections anticipées ou de la présentation par Londres d’une nouvelle tactique crédible pour faire aboutir l’accord. Mais aucune de ces hypothèses n’est d’actualité.
Au final, quel que soit le nom du successeur de Theresa May, l’Union européenne devra tenter de faire pression sur le nouveau dirigeant pour qu'il clarifie ses intentions: obtenir le soutien du Parlement pour le traité de sortie ou risquer un Brexit sans accord.
Peu de marge de manoeuvre pour les députés
Si une majorité de députés britanniques a déjà voté contre le scénario du no deal, il serait presque impossible pour le Parlement d’empêcher un Premier ministre déterminé à mettre en œuvre une sortie sans accord, selon le groupe de réflexion Institute for Government cité par le FT. "La procédure parlementaire n’offre aucune voie et le seul moyen apparent de bloquer un accord –une motion de censure- représenterait un risque énorme pour les députés conservateur", explique Maddy Thmont-Jack, de l’Institut for Government.
Le vote d’une telle motion ne contraint pas le Premier ministre à démissionner sur le champ mais, par convention, il doit demander une dissolution rapide du Parlement et convoquer des élections générales. Les Tories étant en mauvaise posture dans les sondages, cette option serait effectivement un pari risqué.
La ratification de l'accord impossible?
Si un Brexit dur est plus probable, la ratification de l’accord négocié entre Theresa May et l’Union européenne n’est pas pour autant à exclure totalement. Face au refus de Bruxelles de renégocier, le nouveau Premier ministre pourrait tenter de refaire passer le texte devant la Chambre des Communes. Après tout, Boris Johnson avait déjà voté une fois en faveur de l’accord sur le Brexit. Pour espérer avoir une chance, il pourrait le séparer d’une nouvelle déclaration politique non contraignante qui prévoit les relations futures entre les deux parties. En effet, Michel Barnier s’était déjà dit prêt à reformuler ce texte.
Cette stratégie de révision de la déclaration politique a déjà été tentée par Theresa May mais de manière trop tardive. La Première ministre était sans doute déjà trop affaiblie pour espérer que cela suffise à convaincre les MPs. Fort du soutien qu’il viendrait d’obtenir, un nouveau chef de gouvernement aurait vraisemblablement plus de chances de connaître une issue plus favorable.