Entre besoins de santé et dérapage des dépenses, l'équation impossible du budget 2024 de la Sécu

Juguler l'hémorragie à l'hôpital et apaiser les soignants libéraux, mais freiner au maximum les dépenses après l'explosion des années Covid: le budget 2024 de la Sécurité sociale, qui doit être présenté la semaine prochaine a tout d'une équation impossible.
Des finances contraintes
Revenue d'un déficit abyssal de presque 40 milliards d'euros en 2020 pour cause de Covid, la Sécu (plus de 600 milliards d'euros de dépenses) devrait réduire ses pertes à 7,8 milliards en 2023, selon les dernières prévisions de la commission des comptes de la Sécurité sociale. Mais le "trou" pourrait recommencer à se creuser dès 2024, a averti la Cour des comptes.
Bercy réclame donc aujourd'hui une cure de rigueur, en particulier dans la santé où les dépenses ont dérapé de plusieurs milliards en 2023.
Nouvelles dépenses à l'hôpital et en ville
Pour compenser l'inflation et les mesures salariales destinées à enrayer la fuite de son personnel (mesure salariales, meilleures rémunération des gardes de nuit et de week-end), les hôpitaux réclament un rattrapage d'au moins 3 milliards d'euros pour 2023. Pour 2024, la FHF (Fédération hospitalière de France, qui regroupe les hôpitaux publics) et la Fédération hospitalière privée (FHP) demandent 5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires, soit une hausse de 4,94% sur 2023.
Du côté des soins de ville, les dépenses ont également augmenté plus fortement que prévu, avec un dérapage qui se chiffrerait là aussi en milliards, selon des sources parlementaires et professionnelles. Le dérapage va être difficile à ralentir. L'Assurance maladie a négocié ces derniers mois des revalorisations tarifaires avec plusieurs catégories de soignants, en échange de contreparties pour lutter contre les déserts médicaux.
Elle devrait également reprendre rapidement cet automne des négociations avec les médecins libéraux: le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a promis que l'augmentation de 1,5 euro des consultations en vigueur le 1er novembre n'était qu'une "étape".
Economies sur les médicaments: aux assurés de payer
Face aux "dérives" des dépenses en médicaments, le gouvernement souhaiterait doubler la franchise médicale -reste à charge que payent les assurés sociaux sur chaque boîte- qui s'élève aujourd'hui à 50 centimes, ainsi que la participation forfaitaire chez le médecin, d'un euro actuellement.
Le plafond de 50 euros par an et par assuré pour chacune des deux enveloppes -au delà duquel tout est remboursé- ne devrait cependant pas bouger. Le gouvernement gagnerait ainsi quelque 500 millions d'euros.
Un geste concédé à l'industrie pharmaceutique
L'exécutif compte limiter la "clause de sauvegarde", une contribution financière que les entreprises pharmaceutiques reversent à l'Assurance maladie lorsque leur chiffre d'affaires au titre des médicaments croit plus vite que ce qui est prévu par la loi. Elle sera abaissée à 1,6 milliard pour 2023 et stabilisée à ce niveau l'année prochaine.
Haro sur les arrêts de travail et la fraude sociale
Le coût des arrêts maladie a bondi de 8,2% hors Covid en 2022, et il serait l'une des causes principales du dérapage des soins de ville en 2023. Le gouvernement entend mettre un coup de frein, en renforçant notamment les contrôles.
Un "moins bon remboursement" n'est pas à ce stade le scénario privilégié mais "ça fait partie des pistes", a dit Aurélien Rousseau fin août. La fraude aux prestations sociales est également dans le collimateur. La Cour des comptes a chiffré les malversations "de l'ordre de 6 à 8 milliards d'euros" annuels, alors que les contrôles mobilisent "moins de 3400 agents" dans l'ensemble des caisses.
Pas de hausse des taxes sur l'alcool
Le relèvement des taxes sur l'alcool "ne fait pas partie des projets du gouvernement", a tranché la Première ministre Elisabeth Borne. En juillet, Bercy avait évoqué une piste à l'étude, à l'impact estimé à "0,3 centime par bouteille de vin", plus important pour les alcools forts.
L'idée avait suscité une levée de boucliers jusqu'au sein de la majorité, incluant le député de Gironde Thomas Cazenave, devenu peu de temps après ministre des Comptes publics. Aurélien Rousseau a aussi remis à "l'an prochain" d'éventuelles hausses des prix du tabac.