Plus de 100 pharmacies ont mis la clé sous la porte en 2025: une hausse de leurs prix d'achat des médicaments risque d'accélérer le mouvement

Déjà fragilisées, les pharmacies s'inquiètent des baisses des plafonds de remises commerciales envisagées par le gouvernement. - RMC
"Fin avril 2025, 100 pharmacies ont baissé le rideau depuis janvier. 260 ont fermé l'année dernière, jusqu'où ira-t-on ?", s'alarme Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (Uspo). Depuis le 1er juillet, ces professionnels de santé du quotidien, qui délivrent aux patients leurs médicaments prescrits par leur médecin, sont en grève "illimitée" des gardes pour défendre les ristournes dont ils bénéficient actuellement sur leurs achats de médicaments génériques auprès des laboratoires.
A l'origine de ce mouvement, l'avis du comité d'alerte de la Sécu, publié le 18 juin, anticipant un dérapage de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (Ondam) de l'ordre de 1,3 milliard d'euros. Le document mentionnait l'effort, prévu par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025, de 100 millions d'euros à économiser en contraignant les fabricants de médicaments génériques à baisser leurs prix.
Des baisses de prix qui doivent, comme le rappelle le comité d'alerte, être "conditionnées par la publication d’un arrêté abaissant le taux plafond de remises commerciales (qui profitent donc aux pharmaciens, NDLR) sur les génériques et instaurant un taux plafond pour les médicaments hybrides et les biosimilaires substituables". Ce texte ministériel n'étant pas encore paru au Journal officiel, "l'économie de 100 millions d'euros prévue au titre des médicaments génériques n'est donc pas acquise", signale le comité d'alerte.
Encourager les médicaments génériques
Le lendemain de la parution de l'avis du comité d'alerte, la Direction de la Sécurité sociale (DSS) s'empresse alors de réunir les parties prenantes, à savoir les syndicats de pharmaciens d'officine, les grossistes-répartiteurs et le Leem, le lobby français des laboratoires pharmaceutiques. C'est là que les choses se compliquent:
"On nous annonce une baisse du plafond des remises de 40 à 25, voire 20%, ce qui revient au final à 600 millions d'euros d'économies pour la Sécu. Si on s'en était tenu à 100 millions d'euros comme prévu, le taux du plafond de remise n'aurait diminué que de quatre points...", soulève Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Pour les encourager à proposer des génériques, les pharmacies peuvent en effet bénéficier de remises de la part des laboratoires jusqu'à 40% du prix hors taxe de ces produits. Ces ristournes permettent aux officines d'équilibrer leurs comptes puisqu'elles représentent selon les orgasisations 30% de l'excédent brut d'exploitation d'une pharmacie moyenne. Mais c'est un manque à gagner pour l'Etat puisque les taxes s'appliquent sur un prix d'achat plus bas.
Pour l'instant, un arrêté en date du 1er juillet a prolongé d'un mois le taux plafond actuel, fixé à 40%. Passé le 1er août, si les concertations engagées par la Sécurité sociale avec les syndicats de pharmaciens d'officine, grossistes-répartiteurs et les laboratoires pharmaceutiques n'aboutissent pas à un nouvel accord, logiquement sur un taux plafond plus bas autour de 20 ou 25%, alors le plafond de remises commerciales sur les génériques seront alignées à celui des médicaments "princeps" (de marque, NDLR), à savoir 2,5%. Ce qui serait dramatique pour les pharmaciens, les ristournes dont ils bénéficient actuellement représentant "30% de l'excédent brut d'exploitation (EBE) des officines", pointe Pierre-Olivier Variot. "Les officines vont mettre la clé sous la porte", alerte-t-il.
Bras de fer avec les labos
Qui plus est, ces remises commerciales et encadrées par les pouvoirs publics ont aussi pour intérêt d'encourager les pharmaciens à substituer les médicaments princeps par les génériques. Comme ils sont en moyenne 30% moins chers, ils permettent en effet à la Sécurité sociale de générer des économies substantielles, de l'ordre de 1,6 milliard d'eurors par an d'après les chiffres de l'Assurance maladie. En 2014, les autorités avaient ainsi relevé le taux du plafond des ristournes commerciales accordées par les labos sur les génériques de 17% à 40%.
Reste qu'à écouter les syndicats de pharmaciens, le gouvernement abonderait dans le sens des laboratoires pharmaceutiques qui font la grimace face aux baisses de prix attendues sur les médicaments génériques, alors même que leurs prix sont bas.
"Nous n'avons aucunement été associés aux propositions des pouvoirs publics, indique pourtant le Leem à BFM Business. En France, les prix des médicaments sont parmi les plus bas d'Europe. Nos entreprises de produits matures, qu'ils soient de marque, génériques, biosimilaires ou hybrides sont fragilisés. Nous demandons au contraire de préserver le prix, et de rechercher des économies intelligentes, appuyées sur le bon usage de nos médicaments, la mise en place de parcours de soins en officine et la recherche d'efficience dans le système de soins grâce à nos innovations".
Lutter contre la pénurie de médicaments
Mais en exigeant aux laboratoires des baisses de prix sur des médicaments génériques aux prix déjà inférieurs aux médicaments de marque, le gouvernement prend le risque d'attiser les pénuries de médicaments. Si les remises dont profitent les pharmaciens vont être rabotées, c'est notamment parce que "ce sont les médicaments génériques qui sont en pénurie", souligne Nathalie Coutinet, maître de conférence en sciences économiques à l'Université Paris 13 auprès de BFM Business.
"Tout l'enjeu, c'est que les fabricants aient un prix suffisamment attractif pour continuer de produire les médicaments génériques. Comme les pharmaciens bénéficient de remises commerciales encadrées par l'Etat, cela réduit les marges des laboratoires qui ne sont pas incités à produire", conclut l'économiste.