"C'est une véritable trahison": dermatos, pédiatres, kinés et autres pharmaciens manifestent contre le report de 6 mois de leurs revalorisations

(photo d'illustration) - Philippe HUGUEN © 2019 AFP
Ils se sentent lésés par le gouvernement. Médecins, kinés, dentistes ou encore pharmaciens: quatorze organisations représentatives des professionnels de santé libéraux, réunis au sein du collectif des #SoignantsTrahis ont manifesté, ce mardi 1er juillet, place des Invalides à Paris. Ils protestent contre le gel de leurs tarifs, décidé en raison d'un risque sérieux de dérapage des dépenses de la Sécu.
Le 18 juin en effet, le comité d'alerte a publié un avis anticipant un dérapage d'1,3 milliard d'euros de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (Ondam), causé par les dépenses de soins de ville dynamiques, les remboursements de médicaments et les indemnités journalières d'arrêts de travail. Comme le prévoit la loi dans cette situation budgétaire difficile, un plan de redressement des comptes de l'assurance-maladie a été activé... Et pèse lourdement sur les professionnels de santé libéraux qui se considèrent comme des "dommages collatéraux".
Pas de hausse des tarifs chez les spécialistes
Conséquence, les revalorisations de tarifs des médecins spécialistes sont gelés. Après une première vague d'augmentation des prix des consultations intervenue en décembre 2024, une seconde devait pourtant se concrétiser ce 1er juillet, afin de renforcer l'attractivité des spécialités médicales les plus en tension, telles que la dermatologie, la pédiatrie, la psychiatrie, la gynécologie ou encore l'endocrinologie.
Ces augmentations tarifaires ne se concrétiseront pas avant le 1er janvier 2026, après l'adoption du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui devrait, logiquement, intégrer le coût de ces revalorisations dans l'Ondam.
"C'est une véritable trahison, fulmine Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). On a bagarré pendant deux ans pour la signature d'une convention. Vu le climat économique, le déficit sans précédent de la France, l'instabilité politique, le pire est devant nous".
Mais l'annonce du report de six mois des revalorisations des tarifs des spécialistes n'a pas tant supris les docteurs que cela. "On avait bien dit que l'Ondam ne pourrait pas absorber ces revalorisations, c'était un risque qu'on avait en tête en signant la convention", se souvient Patrick Gasser, coprésident d'Avenir-Spé Le Bloc, syndicat majoritaire chez les spécialistes.
S'il ne s'est pas associé à la manifestation lancée par les autres organisations syndicales, il partage la même colère: "si on regarde les causes du dépassement de l'Ondam, c'est premièrement lié aux revalorisations des personnels hospitaliers dans le cadre du Segur, puis à l'explosion des indemnités journalières et aux prescriptions de médicaments qui ont flambé", constate-t-il.
"Plutôt que de geler les tarifs, on pourrait réfléchir plutôt à davantage de pertinence dans la prise en charge des patients: en radiologie, 30% des examens sont redondants", souligne ce gastro-entérologue installé à Nantes.
"L'annonce du report a été brutale et sans aucune concertation préalable. Nous avions dit d'emblée que l'Ondam était insincère : nous y sommes!", réagit Sophie Bauer, présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML), qui ne s'est pas non plus joint à la manifestation ce mardi. Sans avancées du côté du ministère de la Santé, plusieurs syndicats de médecins libéraux n'hésiteront pas à titiller les caisses primaires d'assurance-maladie à leur manière.
"Nous avons déjà appelé nos adhérents à suspendre la télétransmission", annonce Franck Devulder, ce qui contraint les patients à envoyer par courrier leurs feuilles de soins de papier pour se faire rembourser leurs consultations et indemniser leurs arrêts maladie.
Gel des tarifs aussi pour les kinés et dentistes
Les médecins libéraux ne sont pas les seuls concernés par ce dérapage des dépenses d'assurance-maladie. Certains actes des dentistes et des masseurs-kinésithérapeutes devaient aussi être revalorisés ce 1er juillet.
"On devait avoir une hausse de 1,30 pour pour les actes musculo-squelettiques qui représentent environ 60% de notre activité", rappelle Sébastien Guérard, président de la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR). Celle-ci est finalement décalée de six mois et ne s'appliquera donc pas avant le 1er janvier 2026.
Mais contrairement aux docteurs, ces praticiens ne s'attendaient pas à ce scénario: "Avant cette année, le comité d'alerte n'avait déclenché un plan de redressement des comptes de la Sécu qu'une seule fois en 2007. Qui plus est, nous ne sommes pas vraiment responsables de ce dérapage de l'Ondam", soupire-t-il.
"Face à cette situation, nous revendiquons la création d'un espace de liberté tarifaire encadré, mais nous n'avons pas vraiment un soutien ferme du gouvernement sur ce sujet", développe ce kiné installé à Perpignan. Autrement dit, il s'agirait d'autoriser ces praticiens à facturer des dépassements d'honoraires qui peuvent être couverts par les complémentaires santé afin de ne pas pénaliser le portefeuille des patients.
"15% des kinés font déjà des dépassements sauvages, notamment en région parisienne. Ce n'est pas légal, ni conventionnel, mais c'est toléré par l'Assurance maladie", ajoute le président de la FFMKR.
Coup dur aussi pour les pharmaciens
Les pharmarciens ne sont pas non plus épargnés par le plan de redressement des comptes de la Sécu. Mais leur cas est un peu différent des médecins, kinés et dentistes. S'ils n'attendaient pas de revalorisations de leurs honoraires au 1er juillet, ces derniers pourraient bientôt subir un coup dur, le gouvernement envisagenant d'abaisser le plafond des remises sur l'achat de médicaments génériques auprès des laboratoires de 40 à 20-25%.
"Du jour au lendemain, le gouvernement envisage de réduire le budget consacré à ces ristournes de 1,2 milliard à 600 millions d'euros, c'est complètement inacceptable, cela va déclencher une vague de licenciements dans les officines", s'alarme Philippe Besset, président de la Fédération syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Le syndicaliste indique néanmoins avoir rencontré le ministre de la Santé ce mardi 1er juillet en marge de la manifestation, qui se serait engagé à prolonger les plafonds de remises initiaux d'un mois, le temps de se concerter avec les organisations représentatives des pharmaciens d'officine. "A un moment donné, la question qu'il faut se poser, c'est combien voulez-vous de pharmacies en France? 250 pharmacies ont fermé l'an dernier", rappelle Philippe Besset.