Partage de la valeur ajoutée: patronat et syndicats rendent leurs conclusions

Les partenaires sociaux livrent leur analyse sur le partage de la valeur ajoutée - Jean-Pierre Muller - AFP
Alors que le débat sur le partage de la valeur ajoutée revient sur le tapis quasi chaque année, les partenaires sociaux ont cherché à analyser son évolution au cours des années pour mieux "cerner la situation effective des entreprises qui constituent notre tissu économique". Ce chantier entamé en 2014 par la CFDT, la CFE-CGT, la CFTC, la CPME, le Medef et l’U2P vient de s’achever avec la publication d’un rapport aux enseignements multiples.
Rappelons avant toute chose que la valeur ajoutée d’une entreprise correspond à la richesse effectivement créée par cette dernière. Elle se calcule comme la différence entre le fruit de la vente de la production (chiffre d’affaires) et les achats de biens et services consommés pour réaliser cette production, ce que l’on appelle les consommations intermédiaires.
Cette richesse créée se partage entre les différentes parties prenantes de l’entreprise, à savoir les salariés, les actionnaires, les créanciers, l'État et les entreprises elles-mêmes pour investir. Mais les polémiques récentes ont montré que le débat s’était surtout cristallisé sur la répartition de la valeur ajoutée entre rémunération du travail (sous forme de salaires) et rémunération du capital (sous forme de dividendes ou d’intérêts).
Les salaires dans la valeur ajoutée
Alors qu’en est-il réellement? Pour les partenaires sociaux, l’évolution à long terme de la part des salaires dans la valeur ajoutée ne saurait expliquer "le sentiment général de baisse du pouvoir d’achat et de stagnation du niveau de vie". En effet, poursuivent-ils, les deux tiers de la valeur ajoutée sont aujourd’hui destinés aux salaires et traitements bruts (qui comprennent les cotisations sociales salariales) et aux cotisations patronales. Une proportion relativement stable depuis 1970 (stable entre 1990 et 2007, remontée de 2008 à 2014, quasi-stabilité depuis 2015).
Néanmoins, la part des salaires bruts et cotisations patronales varie selon les branches d’activité, notent les auteurs de l’étude. Elle est de 68% dans les commerces et les services hors services financiers et immobiliers (49% en les incluant) et d’environ 62% dans l’industrie manufacturière et dans la construction.
À noter par ailleurs que la part des salaires nets dans la valeur ajoutée s’est tassée entre 2010 et 2016 tandis que celle des salaires bruts s’est maintenue en raison d’une hausse des cotisations sociales salariales.
Dividendes et intérêts
Le dernier tiers de la valeur ajoutée est donc constitué par la rémunération du capital. Les entreprises se financent en effet soit par l’intermédiaire de créanciers qui leur prêtent des fonds en échange de paiement d’intérêts, soit par l’intermédiaire d’actionnaires ou d’associés qui apportent des capitaux en échange du paiement de dividendes. Là-encore, la part de ces rémunérations dans les richesses créées est restée relativement stable sur le long terme, expliquent les partenaires sociaux.
Toutefois, ils ont observé une montée des versements de dividendes ces dernières années. Mais sans nécessairement faire défaut aux salariés puisque cette progression est surtout liée à un contexte de baisse tendancielle des charges d’intérêt, elle-même expliquée par "une baisse des taux et à une évolution de la structure de financement des entreprises, avec une montée de la part du financement par actions". Autrement dit, les entreprises ont délaissé les banques et se sont davantage tournées vers les actionnaires pour se financer.
Comme pour les salaires, la part des dividendes dans la valeur ajoutée ne saurait être un bon indicateur, selon les partenaires sociaux:
"Le débat sur les dividendes est bien plus complexe qu’il n’apparaît généralement. Il ne saurait être réduit à l’analyse de leur évolution dans le temps ou de leur part dans la VA. […] La question du montant des dividendes dans le partage de la valeur ajoutée d’une entreprise soulève plus globalement la question de sa performance économique de moyen et long terme, ainsi que de ses choix stratégiques, de sa gouvernance (investissements, rémunérations des dirigeants, etc.) et de structure de financement", souligne le rapport.
Un indicateur peu significatif
Au final, patronat et syndicats appellent à trouver pour le partage de la valeur ajoutée un "juste équilibre" pour "réduire les inégalités de progression salariale entre les tranches les plus basses et les tranches les plus hautes", "permettre à l’entreprise d’assurer sa profitabilité dans le but de renforcer sa capacité à investir et innover" et assurer "un autofinancement suffisant et pérenne de l’entreprise et ses besoins".
Cependant, les partenaires sociaux jugent que le partage de la valeur ajoutée n’est pas un indicateur suffisant et recommandent d’être davantage attentif au taux de croissance de la valeur ajoutée (et donc à croissance économique). Car plus le gâteau est grand, plus les parts distribuées le sont également. Pour appuyer leur propos, ils assurent qu’avec un même taux de partage entre salaires brut et cotisations patronales et rémunérations du capitale entre 1988 et 2008, "l’économie française a connu des phases de forte croissance et des phases de ralentissement voire de recul de l’activité comme de l’emploi".
Par ailleurs, "la baisse ou la montée de la part de la valeur ajoutée qui revient par exemple aux parties prenantes ou à l’entreprise ne signifie pas nécessairement une progression (ou diminution) de la rémunération ou de la marge. Elle peut en effet résulter d’un ralentissement qui s’accentue de la valeur ajoutée", affirment les partenaires sociaux.
En témoigne la hausse continue de la part des salaires dans la valeur ajoutée entre 2007 et 2014, pour atteindre un niveau jamais atteint depuis 30 ans, qui ne s’était pas traduite par une augmentation significative de pouvoir d’achat pour les salariés. "C’est donc du taux de croissance de la VA que dépend en définitive la possibilité de desserrer les contraintes pesant sur les arbitrages dans le partage pour pouvoir répondre à l’exigence de redresser le pouvoir d’achat et l’emploi, en même temps que les investissements", concluent les auteurs de l'étude.