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En France, les actionnaires profitent moins de la création de richesses que les salariés depuis la crise

Le Smic est un planché, un rempart pour les moins qualifiés, leur évitant d'avoir une baisse de leur rémunération.

Le Smic est un planché, un rempart pour les moins qualifiés, leur évitant d'avoir une baisse de leur rémunération. - Jean-Pierre Muller - AFP

Entre 2008 et 2015, la part des richesses créées par l'économie française et redistribuées aux salariés est restée stable, contrairement aux restes des pays riches où les dividendes ont été favorisés.

Régulièrement mentionnée dans le débat public, comme en témoigne le rapport d'Oxfam publié ce lundi, la question du partage des richesses n'a pas manqué de revenir sur le devant de la scène avec la crise des gilets jaunes.

Chaque année, les entreprises produisent de la richesse, ce que les économistes appellent de la valeur ajoutée. Une fois créée, cette dernière est distribuée aux travailleurs, sous forme de salaires, aux détenteurs de capital, sous forme de dividendes ou d'amortissements -et aux pouvoirs publics sous forme d'impôts et taxes.

En France, 60% des richesses créées sont aujourd'hui reversées en salaires. En 1981, cette proportion avait atteint un pic à 70%. De l'OCDE à l'Insee, plusieurs organismes ont décrit cette tendance générale dans les pays riches de la baisse de la part des salaires dans la répartition des richesses. L'observation a depuis été transformée en un argument politique. Sur BFMTV-RMC début décembre, le porte-parole du NPA Olivier Besancenot a dénoncé un "transfert" des richesses du travail vers le capital, autrement dit des salaires vers les dividendes, dans un sens "toujours plus inégalitaire" depuis les années 1980.

"Ce n'était pas soutenable"

"La fin des années 1970 et le début des années 1980 sont une période assez particulière où les salaires évoluaient beaucoup plus vite que la productivité", souligne Xavier Timbeau, directeur de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Autrement dit, les salaires augmentaient plus que ce que les travailleurs faisaient gagner en richesses supplémentaires à l'économie. "Ce n'était pas soutenable", pointe l'économiste. Les années 1980 sont par la suite marquée par une hausse du chômage, la dérégulation du marché du travail… tous ces éléments ont contraint les travailleurs à accepter des emplois offrant une rémunération plus faible. Leur part du gâteau s'est alors rétrécie, faisant mécaniquement monter celle du capital.

Le pic de 1981 est donc davantage une exception qu'un point de référence. Depuis, comment la répartition a-t-elle évolué? Le Trésor français s'est penché sur la question. Dans une étude publiée jeudi, les auteurs observent que "la part du travail dans la valeur ajoutée a reculé depuis les années 1990 dans la plupart des grands pays de l'OCDE", sauf dans deux pays dont "la France où elle est quasi-stable". Autrement dit, partout les dividendes ont été préférés aux salaires dans la répartition des richesses, sauf en France.

Entre 1994 et 2015, la proportion de richesses redistribuées vers les salaires a progressé de 0,6% dans l'Hexagone, tandis que celle reversée en dividendes et amortissements a baissé de 0,4% et la fiscalité indirecte (TVA, impôts de production…) s'est réduite de 0,2%. Contrairement à la plupart des autres pays, la France a choisi de préserver la rémunération du travail dans la répartition des richesses. Cette exception tricolore est intervenue dans la période qui a suivi la crise financière de 2008.

Les richesses davantage redistribuées aux salariés durant la crise

Comme partout ailleurs, les richesses créées en France ont moins été redistribuées en salaires (donc plus en dividendes) dans les années 1990. En proportion de la valeur ajoutée, la rémunération des travailleurs français a diminué de 1,9% entre 1995 et 2007.

Puis arrive la crise financière et la tendance générale s'est temporairement inversée. Le choc a provoqué un ralentissement de l'activité des entreprises, qui ont produit moins de richesses en 2009 qu'en 2008. Mais les salaires ne s'ajustent pas automatiquement à ce changement. Ce n'est pas parce que l'entreprise a fait une mauvaise année que le patron peut diminuer la paie de ses employés. Autrement dit, même si les richesses à se partager sont plus faibles, le montant à verser en salaires reste stable.

Proportionnellement, la part de la rémunération des travailleurs dans la valeur ajoutée a donc augmenté, de 2,2% en 2008-2009 pour la France. À l'inverse, les États-Unis sont les seuls où la part des salaires a baissé car "dans le monde anglo-saxon, où le marché du travail est très dérégulé et où on peut licencier facilement, les salaires s'ajustent très rapidement", décrit Xavier Timbeau.

Les salaires progressent au rythme de la productivité

Par la suite, la quasi-totalité des pays ont réalisé cet ajustement des salaires au rythme de la création de richesses. Presque partout, les salaires ont progressé moins rapidement que la productivité, autrement dit la richesse supplémentaire produite n'a pas été intégralement reversée en salaires. Mais pas en France. Entre 2010 et 2015, la proportion de richesses totales reversées en salaires est restée quasi-stable (+0,3%) dans l'Hexagone.

En dépit de la hausse du chômage, les salaires des Français ont continué à progresser plus ou moins au même rythme que leur productivité. Ce phénomène s'explique en partie par le niveau élevé (par rapport aux autres pays riches) du salaire minimum. Pour les moins qualifiés, "le Smic est un rempart", explique le directeur de l'OFCE, leur rémunération ne peut pas baisser en-dessous de ce plancher.

En maintenant la part des salaires dans la répartition des richesses, les inégalités avant redistribution (avant que l'État prélève les impôts et reverse des prestations) sont plus contenues en France qu'ailleurs. Pour autant, privilégier la rémunération des travailleurs à celle des actionnaires ne résout pas la question, selon Xavier Timbeau. "À trop se focaliser sur le partage de la valeur ajoutée, on a tendance à oublier complètement la polarisation du travail, avec des inégalités de niveau de rémunération et de précarité importants entre les salariés les plus qualifiés et les moins qualifiés", pointe l'économiste.

Jean-Christophe Catalon