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Algérie: offensive judiciaire contre de puissants patrons depuis la chute du président Bouteflika

Abdelmoumen Ould Kaddour, patron du géant algérien des hydrocarbures Sonatrach a été limogé mardi, une annonce survenant après celle de la mise en détention provisoire de la première fortune du pays, Issad Rebrab

Abdelmoumen Ould Kaddour, patron du géant algérien des hydrocarbures Sonatrach a été limogé mardi, une annonce survenant après celle de la mise en détention provisoire de la première fortune du pays, Issad Rebrab - KJETIL ALSVIK / STATOIL / AFP

Depuis la démission le 2 avril du président Abdelaziz Bouteflika, sous la pression d'un important mouvement de contestation populaire, la justice a ouvert des enquêtes contre plusieurs hommes d'affaires liés à l'ancien clan présidentiel.

La fin du règne du président Bouteflika a des conséquences sur les grandes entreprises du pays. La télévision nationale algérienne a annoncé dans la soirée de mardi le limogeage d'Abdelmoumen Ould Kaddour, PDG du groupe pétrolier et gazier public Sonatrach. Aucune explication n'a été donnée pour cette décision prise par le chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah. Un nouveau PDG, Rachid Hachichi, a été nommé pour remplacer M. Ould Kaddour, à la tête depuis 2017 de Sonatrach, un groupe crucial pour l'économie algérienne.

Les hydrocarbures rapportent à l'Algérie plus de 95% de ses recettes extérieures et contribuent pour 60% au budget de l'Etat. L'Algérie produit 1,2 million de barils par jour. Le géant public des hydrocarbures a été secoué ces dernières années par une série de scandales financiers qui ont fait l'objet d'enquêtes en Algérie et à l'étranger.

Issad Rebrab, 1ere fortune d'Algérie et 6e d'Afrique

L'homme d'affaires Issad Rebrab placé en détention provisoire est le fondateur de Cevital, un conglomérat affirmant employer 18.000 salariés sur trois continents, dans l'agroalimentaire, le BTP, la sidérurgie, la distribution, l'électronique et l'électroménager. Le Parquet a délivré tard lundi un mandat de dépôt contre Issad Rebrab qui avait été déféré plus tôt dans la journée après avoir été entendu par la gendarmerie, a indiqué l'agence de presse officielle Algérie Presse Service (APS).

Si ses activités ont prospéré sous la présidence Bouteflika (1999-2019), il entretenait cependant des relations tendues avec le clan présidentiel. Il était en conflit ouvert depuis 2015 avec les autorités, les accusant de bloquer ses investissements en Algérie. Le ministre de l'Industrie de l'époque Abdeslam Bouchouareb l'avait accusé d'importer et de surfacturer du matériel d'occasion. En 2016, l'enquête journalistique des "Panama Papers" avait affirmé que Issad Rebrab possédait un compte offshore depuis le début des années 1990, ce qui était strictement interdit par la loi algérienne. 

Cevital a notamment racheté en France le groupe électroménager Brandt (marques Brandt, De Dietrich, Sauter et Vedette) et le fabricant de portes et fenêtres Oxxo. Il y a également un projet de création d'usine de traitement de l'eau dans les Ardennes (nord-est). En Italie, il a racheté en 2015 les aciéries de Piombino (ex-Lucchini) avant d'être contraint par le gouvernement italien, qui l'accusait de n'avoir pas honoré ses engagements, de les céder en 2018 à l'Indien JSW Steel.

Des personnalités "ayant bénéficié indûment" d'argent public

Quatre frères de la discrète mais influente famille Kouninef, propriétaire de l'important groupe KouGC, spécialisé notamment dans le génie civil, l'hydraulique et le BTP, ont également été arrêtés dimanche et déférés devant le parquet mardi, selon les médias d'Etat. La famille est réputée proche de Saïd Bouteflika, frère et puissant conseiller de l'ex-président. Selon APS, les frères Kouninef sont soupçonnés de "non respect des engagements contractuels dans la réalisation de projets publics, trafic d'influence avec des fonctionnaires publics pour l'obtention de privilèges et détournement de fonciers et de concessions".

Début avril, l'ex-patron des patrons algériens, Ali Haddad, propriétaire notamment du 1er groupe de BTP d'Algérie et proche de Bouteflika, a été écroué après son arrestation nocturne à un poste frontière avec la Tunisie en possession de devises non déclarées. 

Le 16 avril, le chef d'état-major de l'armée, le général Gaïd Salah, de facto l'homme fort de l'Algérie depuis qu'il a contribué à pousser le président Bouteflika à la démission, a appelé la justice à accélérer "la cadence de traitement" dans ses enquêtes sur des personnalités "ayant bénéficié indûment" d'argent public. Mardi, il s'est réjoui de "la réponse de la justice quant à cet appel (...) qui permettra de rassurer le peuple sur le fait que son argent pillé sera récupéré par la force de la loi et avec la rigueur requise".

Pascal Samama avec AFP