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"Je demanderai le tatouage pour Noël": huit mois après son adoption au Parlement, la loi réduisant le reste à charge des femmes atteintes d'un cancer du sein n'est toujours pas appliquée

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Huit mois après son vote au Parlement, la loi visant à réduire le reste à charge des femmes atteintes d'un cancer du sein n'est toujours pas appliquée. Face à l'instabilité politiques et aux restrictions budgétaires, les patientes craignent que le texte ne fasse pschitt.

Une énorme frustration pour des milliers de patientes. Huit mois après son vote, la loi visant à réduire le reste à charge de femmes touchées par un cancer du sein reste en suspens, alimentant des inquiétudes sur son sort.

Adopté définitivement au Parlement fin janvier, à l'unanimité, promulgué le 5 février, le texte d'initiative communiste nécessite quatre décrets et arrêtés pour s'appliquer. Jusqu'ici, aucun n'a été publié, alors que l'opération annuelle de sensibilisation au dépistage du cancer du sein, Octobre Rose, a récemment démarré.

"Des femmes me questionnent sur la prise en charge de sous-vêtements adaptés (facturés entre 50 et 100 euros, NDLR), elles pensent, à juste titre, que la loi s'applique", confie à l'AFP Cathy Apourceau-Poly (PCF), qui a porté la proposition de loi au Sénat.

"À la pharmacie, elles doivent payer, et elles me demandent quoi faire", poursuit-elle, rappelant qu'"elles ont déjà été éprouvées par la maladie et manquent parfois de moyens financiers".

1.400 euros de reste à charge en moyenne

Avec plus de 61.000 nouveaux cas par an et plus de 900.000 personnes atteintes en France, le cancer du sein est le plus répandu des cancers féminins. Or avec un reste à charge de "1.400 euros en moyenne", les patientes "les plus précaires renoncent aux soins ou produits non pris en charge ou insuffisamment remboursés qui s'avèrent trop onéreux", avait souligné en janvier le rapporteur du texte devant l'Assemblée nationale, le communiste Yannick Monnet.

La loi votée prévoit la prise en charge intégrale par l'assurance maladie du renouvellement des prothèses mammaires, la dermopigmentation de l'aréole ou de sous-vêtements adaptés.

Elle instaure aussi un forfait pour acheter des produits prescrits mais actuellement non remboursés, comme des crèmes contre la sécheresse ou des vernis pour prévenir la chute des ongles induite par certains traitements.

En théorie, après la publication d'une loi, les décrets d'application doivent être pris rapidement, dans les six mois - sauf entrée en vigueur différée - comme souligné fin 2022 par une circulaire d'Elisabeth Borne, alors Première ministre. Pourtant, d'après un calendrier consultable en ligne sur le site de l'Assemblée nationale, les quatre décrets nécessaires pour appliquer la loi ne sont pas attendus avant décembre 2025.

"Pas un cadeau"

Là, "on n'a pas de contenu, pas de délai, pas d'interlocuteur" sur les textes d'application, déplore Caroline Mercier, directrice générale de l'association Rose Up. "Si ça repasse sous les fourches caudines du futur projet de loi de financement de la Sécurité sociale et de la baisse annoncée des dépenses de santé, on a peu d'espoir", glisse-t-elle, alors que l'instabilité politique augmente les incertitudes.

Interrogé par l'AFP sur les textes d'application, le ministère de la Santé n'a pas répondu.

"Si ça fait pschitt (...) ça risque de créer énormément de déceptions. Des femmes atteintes de cancer du sein attendaient cette petite bouffée d'air", réponse à "une nécessité", plaide Caroline Mercier.

Pour Charlaine (qui n'a pas souhaité donner son nom), 38 ans, qui a subi une double mastectomie, il s'agit de pouvoir acheter des sous-vêtements adéquats.

"J'ai appelé une boutique spécialisée pour demander s'il fallait une ordonnance et j'ai appris que la loi n'était pas encore appliquée", confie-t-elle, "très déçue". "Je n'ai qu'un soutien-gorge adapté pour ma prothèse externe. Cela reste un coût assez conséquent, surtout en étant maman solo de trois enfants..."

Jennifer, 37 ans, espérait bénéficier de la prise en charge du tatouage médical de l'aréole et du mamelon. Après une double mastectomie et une reconstruction, elle souhaiterait se réapproprier son corps, aidée par ce coup de pouce, le tatouage pouvant coûter 500 euros. Le temps passant, elle craint que la loi ne soit jamais appliquée.

"Je me dis que je demanderai le tatouage pour Noël... alors que ce n'est pas censé être un cadeau", souffle-t-elle.

La sénatrice Cathy Apourceau-Poly, qui a écrit plusieurs fois à la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, pour réclamer la publication des décrets, juge "incroyable qu'on ne respecte pas le Parlement". Le député Hadrien Clouet (LFI) a considéré sur X que l'exécutif "s'efforce désormais même d'annuler a posteriori les votes de l'Assemblée nationale". Caroline Mercier veut croire que "rien n'est perdu", promettant de "rester mobilisée".

Caroline Robin avec AFP