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Inflation, normes européennes... Pourquoi la colère monte chez les agriculteurs

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Depuis jeudi, des tracteurs et camions occitans bloquent l'A64 pour alerter sur la crise que connaissent les agriculteurs. Une nouvelle manifestation qui témoigne d'un profond malaise au sein de la profession, en France mais plus largement en Europe.

C'est l'expression d'une colère qui couvait depuis de longs mois. Après des actions symboliques consistant à retourner des panneaux de signalisation à l'entrée de certaines communes rurales, les agriculteurs ont décidé de hausser le ton pour se faire entendre.

Rennes, Avignon, Laval... Depuis quelques semaines, les manifestations d'agriculteurs se multiplient en France. Mardi, c'est vers le cœur de Toulouse que des centaines de tracteurs et camions ont convergé, gênant la circulation et déversant paille et crottin devant certaines institutions. Une mobilisation relancée jeudi avec le blocage, toujours en cours, de l'A64 par des agriculteurs occitans au niveau de Carbonne, entre la Ville rose et Tarbes.

"On est très déterminé. On attend des mesures concrètes", explique sur BFMTV Jérôme Bayle, éleveur en Haute-Garonne où débute selon lui "le pays de la résistance agricole".

Si Bertrand Loup, éleveur de vaches en Occitanie, a également tenu à prendre part à cette action, c'est pour faire savoir que la coupe est pleine. "Nous ne sommes pas entendus. Cela fait plusieurs mois que nous demandons à l'Etat d'entendre nos revendications et ça reste porte fermée", regrette-t-il.

Respect de la loi Egalim

Les motifs de la colère des exploitants sont divers et témoignent d'un profond sentiment d'abandon au sein de la profession. Mais la goutte d'eau qui a fait déborder le vase est sans doute l'inflation qui s'est traduite par une nette hausse des coûts de production des agriculteurs. Une hausse parfois ignorée par les industriels malgré la loi Egalim qui prévoit notamment de répercuter ces coûts tout au long de la chaîne agroalimentaire lors des négociations commerciales.

C'est pour cette raison que des éleveurs laitiers se sont rassemblés jeudi devant plusieurs sites Lactalis dans l'Ouest à l'appel de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs. Ils dénonçaient le prix du lait fixé par le groupe industriel laitier basé en Mayenne, qu'ils jugent trop bas et contraire à la loi.

"On est là pour dénoncer cette attitude irresponsable du groupe sur une décision unilatérale d'un prix payé au producteur de 405 euros" pour 1000 litres, a indiqué Samuel Gouel, président de la section lait du syndicat agricole FSDSEA 53.

Selon lui, ce prix "ne tient pas compte du tout de la loi Egalim" qui prévoit "de la négociation et de l'intégration des coûts de production du lait sorti de nos fermes".

Plus largement, "le coût de l'énergie a explosé, les coûts des intrants ont augmenté, tout comme ceux de la main d'œuvre ou de l'alimentation animale. La guerre en Ukraine perturbe les flux avec des importations énormes en Europe de céréales, de volaille ou de sucre. Ca perturbe toutes les filières, ça fait baisser les prix", précise à l'AFP Christiane Lambert, présidente du Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne.

Normes européennes, fiscalité sur le gazole non-routier...

Mais les revendications des agriculteurs vont bien au-delà de l'inflation et des négociations commerciales. Dans un communiqué, la FDSEA et les Jeunes agriculteurs de l'Ariège s'estiment également "stigmatisés" par les nombreuses directives européennes qui leur imposent des procédures administratives et normes toujours plus dures, notamment en matière de protection de l'environnement, pendant que des accords commerciaux moins exigeants signés entre l'UE et d'autres pays instaurent selon eux une "concurrence déloyale".

Les agriculteurs réclament aussi un meilleur accès à l'eau alors que nombre d'entre eux ont été touchés par de sévères épisodes de sécheresse. Ils exigent en outre le déblocage d'enveloppes promises par l'Etat pour soutenir les élevages touchés par la la Maladie hémorragique épizootique et demandent des mesures concrètes pour assurer le renouvellement des générations dans leur profession.

Les agriculteurs déplorent enfin la hausse progressive de la fiscalité sur le gazole non routier décidé par le gouvernement dans le cadre de la transition écologique. Les aides de l'Etat sur ce carburant sont pourtant "un pilier de notre compétitivité", rappelle Bertrand Loup.

"C'est un élément essentiel et on nous augmente les taxes donc on est en train de saborder le futur de nos exploitations parce que ne pourra plus travailler si ça revient trop cher", s'insurge-t-il.
Christiane Lambert, présidente du Comité des Organisations Professionnelles Agricoles de l'Union Européenne (COPA) - 05/12
Christiane Lambert, présidente du Comité des Organisations Professionnelles Agricoles de l'Union Européenne (COPA) - 05/12
13:54

Une colère européenne

Les exploitants français ne sont pas les seuls à exprimer leur colère. En Allemagne, les agriculteurs se sont massivement mobilisés la semaine dernière contre la réforme de la fiscalité sur le diesel agricole qui prévoit à partir de 2026 la suppression d'une exonération dont bénéficiait la profession.

"En Allemagne, l'élément déclencheur a été la taxation des carburants mais il s'ajoute à d'autres problèmes liés notamment aux stratégies du ministre de l'Agriculture, un ministre vert qui a poussé très loin sur plusieurs sujets comme les aides des 'écorégimes', que 39% des agriculteurs allemands ne peuvent pas obtenir car les exigences environnementales sont trop élevées, l'agriculture bio ou le bien-être animal. A vouloir aller trop vite, c'est l'exaspération chez les agriculteurs et le sentiment de se faire imposer des mesures qui ne correspondent pas à leur réalité", explique Christiane Lambert.

En Roumanie, des agriculteurs ont aussi manifesté ces derniers jours pour protester contre une hausse des taxes. Aux Pays-Bas, la volonté de la coalition au pouvoir de réduire le cheptel du pays et de fermer certaines fermes avait entraîné des manifestations monstres de fermiers et d'agriculteurs. De ces mobilisations est né le parti BoerBurgerBeweging (BBB, Mouvement agriculteur-citoyen en français) qui s'est imposé comme une véritable force politique en remportant notamment les élections provinciales en mars 2023.

Malgré l'expression de cette colère agricole qui s'étend en Europe, la "surchauffe réglementaire" se poursuit, regrette Christiane Lambert qui reproche à la Commission européenne de vouloir "passer des textes en force avant les prochaines élections européennes, sur la restauration de la nature" et "la directive sur les émissions industrielles des élevages".

Une demande de rencontre avec Gabriel Attal

Les agriculteurs occitans affirment qu'ils continueront de bloquer l'A64 tant qu'ils n'auront pas reçu la visite de Gabriel Attal: "On l'attendra jusqu'au bout, on ne bougera pas", assure Bertrand Loup. "S'il faut que je m'engage à aller le chercher en tracteur à Paris, je le ferai. Mais l'agriculture française a vraiment besoin du soutien de l'Etat maintenant", indique de son côté Jérôme Bayle.

Pour l'heure, c'est le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau qui a tenté d'apporter une première réponse dans une interview accordée ce vendredi à La Dépêche. Le ministre se dit "très attentif aux expressions des agriculteurs" et assure comprendre "le besoin de cohérence entre les politiques et de réciprocité des normes pour éviter de placer nos agriculteurs en situation de concurrence déloyale". Il assure par ailleurs avoir "obtenu un budget historique pour notre agriculture" avec "4 milliards d'euros pour les trois prochaines années, dont 1,3 milliard d'euros cette année pour la planification écologique".

Marc Fesneau doit également présenter la semaine prochaine une loi d'orientation pour le renouvellement des générations "qui comprend notamment la création d'un fonds de garantie à hauteur de 2 milliards d'euros pour favoriser l'accès aux capitaux pour l'installation de nouveaux agriculteurs". Le ministre dit aussi regarder "avec attention" ce qui se passe en Allemagne et aux Pays-Bas, "et de manière générale en Europe".

"Il ne faut pas négliger également un sentiment profond qui s'est malheureusement installé chez les agriculteurs, en France notamment, qui se sentent dénigrés, attaqués".

Macron en appelle aux préfets

Emmanuel Macron a demandé au ministre de l'Intérieur de donner instruction aux préfets d’aller dès ce week-end à la rencontre de ces derniers et de leurs organisations représentatives, pour qu'ils échangent directement sur les problématiques qu’ils expriment. Le ministre de l'Agriculture sera en déplacement ce samedi dans une exploitation laitière pour parler de simplification administrative.

Des paroles bienvenues mais qui ne suffiront sans doute pas à calmer la colère des agriculteurs. Laquelle risque de se faire de nouveau entendre lors du prochain Salon de l'agriculture qui ouvrira ses portes à Paris le 24 février prochain.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco