Croissance: pourquoi la prévision du gouvernement n'est pas crédible

Le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, et le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire. - Martin Bureau - AFP
Rien ne va plus sur le front de la croissance. L’année exceptionnelle de 2017, avec un PIB en progression de 2,3%, avait donné des ailes au gouvernement qui avait revu ses ambitions à la hausse. Dans ses prévisions économiques transmises à Bruxelles en avril, la France se voyait avec 2% de croissance à la fin de l'année, contre 1,7% lors de la précédente estimation qui a servi de base pour établir le budget 2018.
Manque de chance, cet excès d’optimisme a été douché par les chiffres de l’Insee publiés fin juillet. Selon l’Institut, le PIB a crû de 0,2% au deuxième trimestre comme au premier, soit moins qu’attendu. Pire, ces performances font disparaître tout espoir d’arriver à 2% sur l’année. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, n’a pas eu d’autre choix que d’en prendre acte: "Nous réviserons les perspectives de croissance" pour l'année en cours, a-t-il annoncé mardi sur BFMTV-RMC.
Une prévision "totalement illusoire"
Une révision certes, mais de quelle ampleur? Gérald Darmanin s'est voulu rassurant: la croissance "ne sera pas inférieure à 1,8%", a-t-il affirmé mercredi. Le ministre des Comptes publics se montre un peu plus optimiste que la Banque de France et l’Insee. Dans leur publication de juin, les deux organismes prévoyaient respectivement 1,8% et 1,7% de croissance sur l’année, mais c’était avant de découvrir les chiffres décevants du deuxième trimestre.
Interrogé par BFM Éco, Philippe Waechter, chef économiste chez Ostrum Asset Management, juge la prévision du gouvernement "totalement illusoire". Pour parvenir à 1,8% de croissance annuelle, il faudrait que le PIB augmente de 0,7% au troisième et au quatrième trimestre, ce que l'économiste juge impossible à atteindre. La croissance sur l’année "sera plus proche de 1,5%", estime-t-il.
Que s'est-il passé?
Que s’est-il passé entre l’excès d’optimisme printanier et la douche froide estivale?
"D'abord il y a eu des grèves, grève à la SNCF, grève à Air France, et j'avais indiqué il y a déjà plusieurs mois que cela se traduirait par 0,1 point de croissance en moins", a énuméré Bruno Le Maire sur BFMTV-RMC. "Il y a eu l'augmentation du prix du pétrole, qui pèse aussi sur notre compétitivité, il y a le climat international, avec cette guerre commerciale qui nuit aussi à l'activité économique."
Dans ces propos, il y a du vrai et de l'exagération. Concernant les grèves, l'Insee avait également indiqué qu'elles pourraient coûter jusqu'à 0,1 point de PIB, mais sur le trimestre seulement et non sur la moyenne annuelle. Leur effet semble d’autant plus limité que les entreprises n’ont pas freiné leurs investissements, au contraire.
En revanche, le ralentissement du commerce international, accentué par le conflit commercial à l'initiative des États-Unis, nuit effectivement à l'activité, contrairement à 2017 où le regain des échanges commerciaux avait clairement boosté l'activité, surtout en fin d'année.
Le ministre omet de mentionner un autre élément, pourtant tout aussi majeur pour expliquer ce coup de mou de la croissance: le ralentissement de la consommation.
La consommation ralentit à cause des hausses de taxes
Il faut dire que le gouvernement en est pour partie responsable, car ses choix budgétaires nuisent pour l'instant au pouvoir d'achat des Français. L’augmentation de la CSG et surtout des taxes sur le tabac et les carburants sont entrées en vigueur dès janvier, alors que la suppression des cotisations salariales ne sera complète qu’à partir d’octobre et la baisse de la taxe d’habitation interviendra à la même période.
"Ce décalage a eu un impact dramatique, le ralentissement de la consommation est lié à cet effet fiscal", observe Philippe Waechter.
Entre les bonnes performances de l’année 2017 et les effets à retardement du Pacte de responsabilité et du CICE, le gouvernement pensait avoir du temps pour appliquer les baisses de charges et qu’il pouvait se permettre d’augmenter les taxes tout de suite.
Cette stratégie emprunte doucement le chemin de l’échec. Alors que Bercy prévoyait 1% d’inflation hors tabac pour 2018, ce chiffre a été révisé à 1,6% par l’Insee en juin dernier. Cette augmentation n’est pas la conséquence d’une croissance des salaires, mais du boom des prix de l’énergie, alimenté… par les hausses de taxes décidées par le gouvernement, auxquelles s’ajoute la hausse du prix du pétrole qui a pris 60% en un an.
Si les mesures du gouvernement devraient augmenter le pouvoir d'achat en fin d'année, force est de constater que sur le premier semestre elles n'ont fait que le grignoter. Problème: "la probabilité que les ménages se disent ‘les pertes de pouvoir d'achat ce n’est pas grave je vais dépenser mon argent’ est assez limitée", souligne Philippe Waechter. Autrement dit, l’économiste estime que les Français ne vont pas consommer davantage en anticipant la baisse de la taxe d’habitation. "Cette mesure n'aura d'effet que sur la fin de l'année", selon lui.
Quid du déficit?
Cette révision à la baisse de la croissance implique que le gouvernement revoit aussi sa prévision de déficit public. Avec au moins 1,8% de croissance, Gérald Darmanin a assuré que l'objectif de 2,3% était maintenu. "Cela me paraît très ambitieux", commente Philippe Waechter.
Lors de la présentation du budget en septembre, le gouvernent prévoyait un déficit de 2,6% pour une croissance de 1,7%. "Si on passe à 1,5% de croissance, on sera effectivement plus proche de 2,6% de déficit", conclut l'économiste.