Budget rectifié: les prévisions du gouvernement jugées "prudentes" par le Haut conseil des finances publiques

Le gouvernement revoit sa copie. Jugé "incomplet" en septembre par le Haut conseil des finances publiques (HCFP), le budget rectifié pour 2021 sera présenté ce mercredi en conseil des ministres. Il y a près de deux mois le HCFP avait dit ne pas pouvoir rendre un avis "pleinement éclairé" sur ce projet de loi de finances qui n’intégrait pas certaines mesures de pouvoir d’achat annoncées ces dernières semaines, notamment pour compenser la hausse des prix de l’énergie.
Le nouveau texte contient désormais l’aide supplémentaire de 100 euros qui sera versée en décembre aux 5,8 millions de bénéficiaires du chèque énergie, soit un montant de près de 600 millions d’euros, ainsi que l’indemnité inflation de 100 euros pour tous les Français gagnant moins de 2000 euros par mois. Ce qui représente une enveloppe de 3,6 milliards d’euros, qui sera complétée par 200 millions d’euros votés dans le projet de budget pour 2022.
D'autres nouveaux crédits concernent une partie du financement du plan compétences, ainsi que 500 millions d'euros pour les indemnisations contre le gel en faveur des agriculteurs. Au total, ce budget rectificatif prévoit d'ouvrir 9,1 milliards d'euros de crédits supplémentaires et d'en annuler 7,3 milliards, notamment 2 milliards qui avaient été budgétés pour les soutiens d'urgence.
La prévision de croissance de 2021 sous-estimée, celle de 2022 "plausible"
Dans son nouvel avis, le Haut conseil des finances publiques "se félicite" d’avoir été une nouvelle fois saisi sur un budget désormais complet. Ce qui lui permet d’évaluer les nouvelles prévisions économiques du gouvernement pour 2021 et 2022. A commencer par la croissance qui devrait atteindre 6,25% cette année selon l’exécutif et 4% l’année prochaine.
La première estimation est jugée "prudente" par le HCFP alors que la dernière publication de l’Insee faisait état d’un acquis de croissance à l’issue du troisième trimestre de 6,6% en 2021. En clair, si l’évolution du PIB était nulle au quatrième trimestre, la croissance serait tout de même de 6,6% sur l’année.
Pour 2022, "le gouvernement a pris en compte des mesures nouvelles de soutien au pouvoir d’achat et à l’investissement susceptibles de relever la croissance de l’activité en 2022", note le Haut conseil. Mais la dégradation de l’environnement économique mondial avec la persistance des difficultés d’approvisionnement et la hausse des prix de l’énergie risquent de freiner la dynamique. Si bien que ces deux éléments "jouent dans des sens opposés", relève le HCFP qui considère tout de même que la prévision de croissance de 4% "reste plausible".
Une inflation plus forte que prévu en 2022?
Dans le PLF 2022, le gouvernement table sur une inflation de 1,5% en moyenne en 2021 et en 2022. Pour cette année, la prévision sur la hausse des prix reste là-encore "plausible" bien que les dernières publications de l’Insee (+2,6% d'inflation en octobre) font "peser un risque léger de dépassement", reconnaît le Haut conseil.
L’organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes s’inquiète surtout pour l’année prochaine. Aussi rappelle-t-il que "le prix du baril" de pétrole s’est établi en octobre "15 dollars environ au-dessus du niveau retenu par le gouvernement dans sa prévision", soit 84 dollars contre 69 dollars. Une telle augmentation conduirait à accroître l’inflation de 0,5 point en 2022. Ce qui amène le Haut conseil des finances publiques à dire que la prévision d’inflation du gouvernement pour 2022 "semble trop basse".
L’évolution de la masse salariale du secteur privé et l’amélioration globale du marché de l’emploi sont d’autres facteurs qui risquent de tirer les prix à la hausse. Sur ce point, la hausse de la masse salariale de 6,2 à 7,2% estimée par le gouvernement pour 2021 apparaît encore "trop basse", relève le Haut conseil. De fait, l’Unédic table pour sa part sur une croissance de la masse salariale de 8% cette année.
En outre, la croissance du salaire moyen en 2022, revue à la baisse par le gouvernement (4,7% contre 5,2%) pourrait être "plus forte" en raison de la situation du marché du travail (baisse du taux de chômage, pénuries de main d’œuvre dans certains secteurs). Même chose pour les créations d’emplois estimées à 60.000 entre fin 2021 et fin 2022. "A scénario de croissance inchangé, les créations d’emplois seraient plus fortes en 2022, si la tendance de productivité était plus faible comme l’estiment certaines institutions", souligne le HCFP.
Un déficit public probablement "légèrement inférieur" à la prévision du gouvernement en 2021
La sous-estimation de l’évolution de la masse salariale induit mécaniquement la prévision du déficit public en erreur. Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, le gouvernement l’a revu à la baisse, à 8,1 points de PIB, contre 8,4 attendu auparavant (-6,9 milliards d’euros). Mais le Haut conseil des finances publiques estime que le déficit public "pourrait être légèrement inférieur à la prévision, du fait notamment d’une sous-estimation des recettes assises sur la masse salariale".
Les recettes tirées de l’amélioration de l’emploi et de la masse salariale devraient également augmenter en 2022. Mais "le degré d’incertitude qui entoure la prévision de dépenses" de l’Etat "est important, compte tenu de mouvements d’ampleur affectant les nouvelles dépenses", indique le Haut conseil. En effet, certaines dépenses évolueront en fonction des prix du marché de l’énergie (charges de services publics de l’électricité, compensation aux fournisseurs de gaz du blocage de leurs prix). Le rythme de décaissement du plan France 2030 est de surcroît "soumis aux risques de retard dans la mise en œuvre qui ont pu affecter les plans d’investissement précédents", poursuit le HCFP. Malgré toutes ces inconnues, "la prévision de déficit public pour 2022 peut toutefois être considérée comme plausible", estime-t-il.
Dans son avis, le Haut conseil remarque enfin que le gouvernement s'attend à un ratio de dette publique de 115,3 points de PIB en 2021 avant un recul de 1,8 point en 2022 pour s’établir à 113,5 point de PIB. Soit une baisse plus forte que celle annoncée dans le PLF de septembre (-1,5). Reste que cette diminution plus importante "ne résulte pas d’une réduction de déficit public mais d’une hypothèse de consommation plus importante de la trésorerie de l’Etat", déplore le HCFP.
Il regrette par ailleurs que "le surcroît de recettes attendu n’est pas consacré au désendettement mais qu’il est, au contraire, plus que compensé par un surcroît de dépenses ou de mesures de baisse de prélèvements obligatoires". Un constat démenti ce mercredi par le ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt. Lequel a assuré que les recettes supplémentaires serviront à "amorcer la trajectoire de désendettement, en particulier sur la dette liée au Covid estimée à 165 milliards d’euros pour l’Etat".