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Finances publiques

Rendement réel, biens professionnels, constitutionnalité... Ces points de discorde qui divisent les pro et anti-taxe Zucman

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Plébiscitée par la gauche, la taxe Zucman vise à taxer à hauteur de 2% par an les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros. Ses opposants dénonce un dispositif aux recettes surestimées qui minerait les investissements en France.

L'instauration dans le budget 2026 d'un impôt sur les hauts patrimoines, soutenue par les socialistes qui sont reçus mercredi à Matignon, est une idée dont les modalités suscitent de vifs débats et qui se cristallisent autour de la taxe Zucman.

Épouvantail pour la droite et totem pour la gauche, elle consisterait à taxer à hauteur de 2% par an les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros, ce qui concerne 1.800 foyers fiscaux selon son promoteur.

Quel rendement?

Selon l'économiste Gabriel Zucman, qui a donné son nom à cette idée de taxe, la mesure permettrait de récupérer 20 milliards d'euros par an, une aubaine compte tenu des difficultés des gouvernements successifs à réduire le déficit public. Mais d'autres experts contestent ce rendement, estimant plutôt les gains à 5 milliards d'euros, soit quatre fois moins...

Dans une tribune au journal Le Monde, plusieurs économistes pointent notamment des "effets comportementaux" susceptibles de limiter les recettes en raison d'un risque d'exil ou d'optimisation fiscale de certains contribuables, sur la base d'une note du Conseil d'analyse économique (CAE).

Il est "faux de dire que la note du CAE permet de conclure qu'une taxe Zucman ne rapporterait que 5 milliards d'euros", nuance à l'AFP Camille Landais, professeur à la London School of Economics (LSE) et l'un des auteurs de la note. Selon lui, il n'existe "pas de certitude" sur le montant exact du rendement d'un tel impôt.

Inclure les biens professionnels?

Faut-il les inclure dans l'assiette de calcul de l'impôt? Oui pour ne "pas répéter les erreurs du passé", plaide Gabriel Zucman. Une allusion à l'ISF qui rapportait quelque 5 milliards d'euros par an, mais exonérait les biens professionnels (comme par exemple les actions) de l'assiette de taxation. Or des hauts patrimoines placent des biens professionnels dans des structures de type holdings afin d'y conserver les bénéfices mais sans les distribuer, détaille Camille Landais. En d'autres termes, ces bénéfices ne sont jamais taxables.

Pour les très hauts patrimoines (les 0,1% de foyers dont le patrimoine immobilier est supérieur à 2,7 millions d'euros), les revenus de capitaux mobiliers (placements financiers, dividendes...) représentent près de 50% des revenus totaux en 2022, selon la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Mais inclure les biens professionnels reviendrait à "taxer l'outil de travail", alors que c'est ce qui "crée de l'emploi en France", a répondu sur France Inter Dominique Carlac'h, cheffe d'entreprise et membre du conseil exécutif du Medef, sans compter le risque de freiner l'innovation.

Les Experts : Taxe Zucman, un totem pour la gauche ? - 12/09
Les Experts : Taxe Zucman, un totem pour la gauche ? - 12/09
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Frein à l'innovation?

Des acteurs de la tech ont dénoncé dans le quotidien L'Opinion une limite du dispositif voulu par Gabriel Zucman, affirmant que dans ce secteur les "valorisations des entreprises sont théoriques et les actions, illiquides", c'est-à-dire très difficiles à vendre. Un impôt sur le patrimoine "obligerait de nombreux fondateurs à céder une partie de leur capital", dénoncent-ils. Un frein à l'innovation qui pourrait affecter certains fleurons français, comme Mistral AI dans l'intelligence artificielle.

"Je suis convaincu qu'il faut plus de justice fiscale", même s'"il y a un sujet sur comment on écrit la loi pour que cela fonctionne", a déclaré mardi son patron Arthur Mensch sur France 2, tout en reconnaissant qu'il "ne pourrait pas payer" une telle taxe en l'état. Gabriel Zucman "a une véritable méconnaissance de certaines mécaniques économiques, notamment du lien entre fiscalité et innovation", souligne auprès de l'AFP Maya Noël, directrice générale de l'association sectorielle France Digital.

L'économiste suggère en réponse un "paiement en nature" pour ces rares cas, c'est-à-dire que l'État prélève des actions de l'entreprise. Mais cette solution ne fournirait pas de revenus à l'État et pourrait s'avérer rédhibitoire pour les investisseurs, lui réplique-t-on.

Un risque constitutionnel?

Certaines voix avancent un risque de censure d'une telle taxe par le Conseil constitutionnel. Mesure phare de la campagne de l'élection présidentielle 2012 de François Hollande, la taxe de 75% sur les revenus supérieurs à 1 million d'euros avait été censurée par les "Sages", au motif qu'elle méconnaissait le principe d'égalité des charges.

Le Conseil avait également retoqué les modalités de calcul du plafonnement de l'ISF, en particulier l'intégration des revenus ou bénéfices capitalisés, "que le contribuable n'a pas réalisés ou dont il ne dispose pas".

P.L. avec AFP