BFM Business
Finances publiques

Marine Le Pen parlait de "viol démocratique": c'est quoi cette règle européenne des 3% de déficit à laquelle le RN songe désormais à se convertir?

La Commission européenne va se montrer plus flexible en matière d'aides d'Etat, mais sous des conditions strictes.

La Commission européenne va se montrer plus flexible en matière d'aides d'Etat, mais sous des conditions strictes. - Kenzo TRIBOUILLARD / AFP

Le Rassemblement national a annoncé réfléchir sur "une règle d'or" budgétaire permettant de "respecter les 3%" de déficit public. "Pas pour faire plaisir à Bruxelles", a néanmoins précisé le parti alors que ce seuil de 3%, inventé en France, est inscrit dans les règles européennes.

Après avoir renoncé à la sortie de l'euro, le Rassemblement national sur le point de se convertir à la règle européenne des 3%? Au sein du parti, une "réflexion interne" a été lancée "pour étudier la possibilité de mettre enfin dans notre droit le respect d'une règle d'or" budgétaire qui imposerait de maintenir le déficit public sous les 3% du PIB tout en préservant les dépenses d'investissement, a annoncé mardi 10 juin le député RN Jean-Philippe Tanguy.

"Malheureusement, nous sommes contraints, c'est une réalité compte tenu du niveau de l'endettement", a précisé l'élu, tout en indiquant qu'il ne s'agissait pas pour le RN de "faire plaisir à Bruxelles" mais de tenir compte de "l'avis des marchés financiers qui attendent de la France qu'elle respecte ces 3%".

Pour l'heure, la France en est loin, avec un déficit proche des 6% en 2024. Elle n'a d'ailleurs respecté le seuil des 3% que sept fois depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, acte fondateur de l'UE, en 1993. Pourtant, c'est bien dans l'Hexagone que cette règle trouve son origine.

"Né sur un coin de table"

Retour en 1981. À l'époque, le président François Mitterand s'inquiète des prévisions budgétaires tablant sur un creusement du déficit public qui s'approche dangereusement du seuil symbolique des 100 milliards de francs, notamment sous l'effet du plan de relance massif du Premier ministre Pierre Mauroy. Le directeur du Budget de l'époque Pierre Bilger fait alors appel à l'économiste Guy Abeille, chargé de mission au ministère des Finances et son chef Roland de Villepin:

"Il nous a dit: 'Mitterrand veut qu'on lui fournisse rapidement une règle facile, qui sonne "économiste" et puisse être opposée aux ministres qui défilaient dans son bureau pour lui réclamer de l'argent", racontait Guy Abeille au Parisien en 2012. Et d'ajouter: "On a imaginé ce chiffre de 3% en moins d'une heure, il est né sur un coin de table, sans aucune réflexion théorique".

Quatre ans plus tard, l'économiste est quelque peu revenu sur ses propos en expliquant que la limite de 3% n'était pas non plus tombée du ciel: "Nous avions sur le bureau dans nos prévisions une perspective pour le Budget qui s’annonçait en 1982 de 100 milliards de francs de déficit. C’était un véritable épouvantail. (...) Donc 100 milliards rapportés à ce qu’était le PIB a l’époque ça faisait 3%", se rappelait-il sur France info en 2016.

Guy Abeille reconnaît malgré tout dans Les Échos que la formule ne repose sur aucune base solide: "Il y a quand même un problème: on rapporte une grandeur qui est propre à l'État, le déficit public, à une autre grandeur, le produit intérieur brut, qui n'est pas l'État, mais la nation. Je trouve que sur le plan de la méthodologie, de la logique intellectuelle, il y a déjà quelque chose qui est aberrant".

Qu'importe, François Mitterrand approuve et annonce quelques semaines plus tard qu'"il ne faut pas" que le déficit "dépasse ce pourcentage" de 3%.

"J'attends du gouvernement qu'il respecte - je n'ai pas lieu d'en douter sachant l'engagement du gouvernement tout entier- ce plafond de 3% et pas davantage".

De Paris à Bruxelles

Quelques années plus tard, lors des négocations du traité de Maastricht, l'Allemagne réclame la rigueur budgétaire des États membres. Le président de la Commission européenne Jacques Delors et le directeur du Trésor et futur président de la BCE Jean-Claude Trichet proposent alors de reprendre la règle des 3%. Une suggestion qui recueille l'approbation des négociateurs allemands.

Mais ce chiffre aurait aussi une explication économique: "Si l'on effectue un ensemble de calculs on s'aperçoit qu'avec 3% de déficit et 60% d'endettement il y a en correspondance une croissance de 5% en valeur, 3% en volume auquel s'ajoute 2% d'inflation. Les Européens ont décidé de se fixer un objectif d'inflation de 2%. De plus, au sommet européenne de Lisbonne de mars, ils ont également défini un objectif de 3% de croissance", soulignait l'économiste Jean-Marc Daniel auprès de BFM Business.

Faisant l'unanimité, la règle des 3% a été inscrite parmi les "critères de convergence" du traité de Maastricht puis dans le Pacte de stabilité et de croissance avec l'objectif de rapprocher les économies européennes pour préparer l'adoption de la monnaie unique. Chaque pays souhaitant intégrer l'UE se doit aujourd'hui de la respecter. Du côté des États membres, ceux qui affichent durablement un déficit et une dette supérieurs aux seuils fixés s'exposent, comme c'est actuellement le cas de la France, à une procédure pour déficit excessif et donc à des sanctions financières. Même si aucune sanction de ce type n'a pour l'heure été appliquée.

Une réforme des règles budgétaires

En 2024, les eurodéputés ont voté pour une réforme visant à moderniser le Pacte de stabilité et ses règles budgétaires jugées trop strictes, obsolètes, et dont le cadre n'a jamais été vraiment respecté. Tout en confirmant les ratios emblématiques de 3% de déficit et 60% de dette, le nouveau texte rend un peu plus flexible l'ajustement réclamé aux pays de l'UE en cas de déficits excessifs, s'ils consentent à des investissements et à des réformes structurelles. Surtout, l'effort sera adapté à leur situation individuelle.

Concrètement, il prévoit que les États présentent des trajectoires sur quatre ou sept ans afin d'assurer la soutenabilité de leur dette. Le pilotage portera sur l'évolution des dépenses, un indicateur jugé plus pertinent que les déficits qui peuvent fluctuer en fonction du niveau de la croissance économique. Mais l'Allemagne et ses alliés "frugaux" (qui prônent l'équilibre des finances publiques) ont obtenu un effort minimum chiffré de réduction de la dette et des déficits pour tous les pays en déficits excessifs, malgré les réticences de la France et de l'Italie.

Le Rassemblement pour la "souveraineté nationale"

Au Rassemblement national, on maintient qu'adopter une règle d'or imposant un déficit sous les 3% du PIB ne veut en aucun cas dire que le parti est prêt à se plier aux directives de l'UE. Il faut dire que le RN, fervent défenseur de la "souveraineté budgétaire" n'a jamais été tendre avec les règles européennes en la matière. En septembre 2012, Marine Le Pen avait qualfié de "viol démocratique" l'adoption sans référendum du Pacte budgétaire européen et de sa "règle d'or" qui, au-delà de maintenir la sacro-sainte règle des 3% de déficit et des 60% de dette, imposait aux États membres un déficit structurel sous les 0,5% du PIB.

"Cette fameuse 'règle d’or', qui évidemment ne réduira en rien les déficits parce que ce ne sont pas avec des mots mais avec des actes qu’on avance, pèsera en revanche pour les peuples comme une véritable chape de plomb. (...) Et ce sont comme toujours les plus pauvres, les retraités et les classes moyennes qui paient cette austérité imbécile", avait déploré l'ex-présidente du RN, ajoutant qu'"alors que nous n’avons déjà plus la main sur notre monnaie, perdre le contrôle du budget reviendrait à se priver de tous les leviers utiles à la conduite d’une politique nationale".

Pour elle, il s’agissait surtout "de conforter l’Europe allemande qui exige des punitions, des amendes, jusqu’à 2 milliards d’euros concernant la France comme le prévoit ce Traité".
https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco