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Finances publiques

"Ils en sont incapables": la France a-t-elle réussi au moins une fois à vraiment baisser sa dépense publique depuis 1980?

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Hormis quelques fluctuations lors des périodes de crise et des phases de rebond, le poids de la dépense publique tricolore dans la richesse nationale a grimpé continuellement au cours des dernières decennies. En cause, la hausse spontanée des dépenses liée à l'inflation et au vieillissement de la population, mais aussi le peu d'effort structurel entrepris par les gouvernements successifs.

Du "quoi qu'il en coûte" au "quoi qu'il arrive". En annonçant un effort budgétaire nécessaire de 40 milliards d'euros en 2026, le gouvernement a confirmé la semaine dernière sa volonté de ramener à tout prix le déficit public à 4,6% du PIB en 2026. Un engagement qui passera "essentiellement" par des coupes dans la dépense publique, a promis le ministre de l'Économie, Éric Lombard. Ou plus précisément par un coup de frein sur l'accélération des dépenses.

Car en réalité, la dépense publique va bien augmenter entre 2025 et 2026. L'effort de 40 milliards annoncés doit s'entendre par rapport à ce que les fonctionnaires de Bercy appellent la "croissance tendancielle", c'est-à-dire par rapport au montant que les dépenses auraient spontanément atteint à politique inchangée.

La dépense publique progresse en effet naturellement chaque année, notamment parce que plusieurs prestations sociales sont indexées sur l'inflation ou encore parce que le vieillissement de la population accroît mécaniquement les dépenses de santé. L'objectif du gouvernement n'est donc pas de dépenser moins l'an prochain à proprement parler, mais de dépenser moins que ce qui était prévu.

Cette augmentation "automatique" rend d'autant plus complexe toute démarche visant à réduire réellement et durablement la dépense publique, laquelle devrait avoisiner les 1.700 milliards d'euros en 2025, soit près de 430 milliards de plus qu'il y a dix ans. Même en neutralisant l'impact de l'inflation sur son évolution, la dépense publique "en volume" a progressé quasi-constamment au cours de 45 dernières années. Depuis 1980, elle n'a baissé qu'à trois reprises: en 2015 (-0,3%), en 2018 (-0,64%) et en 2023 (-1,5%).

Le poids de la dépense publique dans le PIB en hausse de 9 points depuis 1980

Une autre manière d'appréhender l'évolution de la dépense publique est de mesurer son poids dans la richesse nationale. Car si les dépenses augmentent au même rythme que la croissance voire plus lentement, elles deviennent déjà beaucoup plus soutenables. Mais cela n'a pas vraiment été le cas ces dernières décennies.

En 2024, la dépense publique représentait 57,1% du PIB selon l'Insee. Un ratio en hausse pour la première fois depuis 2020 mais qui est resté relativement stable au cours des 15 dernières années. Pas vraiment d'amélioration donc, mais pas de dérapage non plus. Sur une longue période en revanche, la tendance globale est clairement en hausse: +9 points depuis 1980 (48%).

Le ratio entre la dépense publique et le PIB a connu plusieurs fluctuations: il a évolué à la hausse entre 1980 et 1985 (54,2%), puis est reparti à la baisse jusqu'en 1989 (50,9%) avant de remonter au début des années 1990 (56% en 1996) et de refluer à nouveau jusqu'en 2000 (52,6%). Plus près de nous, il a connu un bond spectaculaire mais temporaire à deux reprises: en 2009 (de 54,3 à 58%) ainsi qu'en 2020 (de 55,3 à 61,7%).

Cette tendance au "yoyo" est surtout le reflet de chocs conjoncturels. Second choc pétriolier en 1979, forte croissance à la fin des années 1980, récession du début des années 1990, crise financière en 2008-2009, pandémie de Covid... En période de crise comme en période de rebond, c'est davantage l'évolution du PIB que celle de la dépense publique qui a dicté la trajectoire de l'indicateur.

Même si sa hausse "a été particulièrement marquée lorsque les finances publiques ont été sollicitées pour soutenir la conjoncture (après les relances de 1974 et 1981)", observait une note du Trésor.

De la même manière, la fin des aides exceptionnelles après la période Covid a aussi contribué à sa diminution.

Mais "au-delà des fluctuations conjoncturelles, il n'y a eu quasiment aucun effort structurel" pour baisser la dépense, estime Éric Dor, professeur à l'IESEG School of Management. Et même lorsque le ratio dépense publique/PIB repartait mécaniquement à la baisse après une période de conjoncture dégradée, elle n'a jamais "totalement retrouvé" son niveau initial, poursuit l'économiste.

Les dépenses sociales, première cause de la hausse de la dépense publique

Sur le long terme, la hausse de la dépense publique est principalement "imputable à la forte progression des dépenses sociales liée (...) en particulier au vieillissement de la population", expliquait le Trésor. D'autant que "la France a une politique sociale assez généreuse" comparé à ses voisins, observe Éric Dor.

Ainsi, "sur les 16 points de hausse des dépenses publiques en pourcentage du PIB entre 1973 et 2023, les prestations sociales en expliquent 10", tandis que leur poids dans la richesse nationale est passé de 15,3% à 25,2% sur la période souligne sur son site fipeco François Ecalle, spécialiste des finances publiques.

Une mesure souvent impopulaire

Tailler dans la dépense publique est bien plus facile à dire qu'à faire: "Historiquement, dans tous les pays du monde, dès qu'on atteint un haut niveau de dépense publique, c'est très compliqué de revenir en arrière" sans faire de mécontents, concède Éric Dor.

Car "les dépenses publiques font toujours des bénéficiaires. Presque tout le monde bénéficie du système et personne ne veut être la catégorie touchée".

Un constat partagé par Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l'OFCE: "C'est facile de dire qu'on va baisser la dépense publique. Mais après, quand on rentre dans le détail de cette dépense publique, ça fait mal à quelqu'un", explique-t-il sur BFM Business. Avant d'ajouter: "C'est tellement hétérogène. Il y a des aides aux entreprises, des paiements de fonctionnaires, des dépenses sociales dont les retraites, la maladie...". Bref, les coupes budgétaires font forcément des perdants, ce qui est par définition impopulaire. Selon un récent sondage Elabe pour BFMTV, 84% des Français estiment que François Bayrou a raison de dire qu'il y a trop de dépenses publiques en France, mais seuls 28% sont d'accord pour diminuer les dépenses sociales.

Dans ces conditions, les gouvernements depuis les années 1990 "sont incapables d'assumer les mesures politiques qui permettraient" de réduire le déficit public même si tous veulent y parvenir "pour rassurer nos créanciers, rassurer nos partenaires européens, montrer qu'on est dans les clous des règles européennes", observe sur BFM Business François Ecalle.

Certains gouvernements ont tout de même parfois eu recours à des recettes moins brutales en apparence qu'une baisse immédiate de la dépense publique mais efficaces pour au moins éviter qu'elle ne devienne incontrôlable. La réforme Balladur en 1993 a par exemple indexé les pensions de retraite sur les prix et non plus sur les salaires. Une décision plus acceptable que celle de réduire directement le niveau des pensions. Mais "puisque l'inflation progresse moins vite que les salaires", le poids de la dépense dans le PIB doit diminuer et "c'est comme cela qu'on arrive petit à petit, sans le dire" à maîtriser la dépense publique, indique Éric Heyer.

Une dépense publique plus élevée qu'ailleurs

Chez nos voisins, la dépense publique a suivi à peu près la même trajectoire que dans l'Hexagone depuis 2010. Mais la France part de nettement plus haut. Elle affiche aujourd'hui l'un des niveaux de dépense publique parmi les plus élevés au monde. À titre de comparaison, la dépense publique représentait en moyenne 50% du PIB de la zone euro en 2023, 48,6% en Allemagne, 46,4% en Espagne et 55,2% en Italie.

Faut-il déplorer ces écarts? Pas nécessairement selon Éric Heyer qui réfute le discours selon lequel ce surplus de dépense publique en France ne serait "que du gaspillage" dont "personne ne profite". "C'est un peu plus compliqué que cela" puisque c'est grâce à ce niveau de dépense qu'on a "un taux de pauvreté plus faible" que chez nos voisins. Penser que des coupes drastiques "ne changeraient pas le taux de pauvreté, c'est se tromper", assure-t-il.

Pour autant, il est aussi possible d'estimer "qu'on est peut-être allé trop loin et que cela désincite au travail", reconnaît l'économiste. En définitive, difficile de placer le curseur à un seuil qui serait considéré comme optimal.

"Ce sont des choix politiques, pas économiques. Ce n'est pas à l'économiste de dire quel est le bon niveau de dépense publique", conclut Éric Heyer.
https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco