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Finances publiques

Elle est surendettée, empêtrée dans une crise politique sans fin et elle lève 300 milliards d'euros sans problème sur les marchés: mais comment fait la France?

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Malgré la crise politique et budgétaire, l'Agence France Trésor est parvenue sans aucun problème à lever 11 milliards d'euros de dette à long terme sur les marchés la semaine dernière. Les investisseurs exigent néanmoins des rendements toujours plus élevés.

On finirait par croire que l'appétit des investisseurs pour la dette française est insatiable. Malgré un déficit public à la dérive, une dette colossale, et une crise politique qui n'en finit plus, la France est parvenue à emprunter sans aucune difficulté 11 milliards d'euros à 10, 15 et 30 ans sur les marchés le 4 septembre dernier.

Mieux encore, la demande des investisseurs s'est élevée à 25,9 milliards d'euros, soit 2,35 fois plus que le volume émis par l'Agence France Trésor (AFT) chargée de placer la dette tricolore.

De quoi se rassurer sur la crédibilité de la signature française, même si ce n'est finalement qu'un train qui arrive à l'heure pour les experts: "On n'est jamais trop inquiété à chaque adjudication parce qu'on sait que l'Agence France Trésor fait un travail formidable (...) Ça a été à nouveau plus de deux fois sursouscrit", confirme sur BFM Business Delphine Arnaud, portfolio manager/analyst Multi-Asset & Overlay chez Edmond de Rothschild AM.

"Un État bon payeur"

Plus largement, la France, qui a prévu de lever un total de 300 milliards d'euros sur les marchés en 2025, relèvera le défi haut la main. Comme si le contexte politique et budgétaire, pourtant loin d'être idéal, passait au second plan dans les décisions des investisseurs.

"Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’un acheteur de dette obligataire a une approche comparative. Il va comparer une dette à une autre", explique Christopher Dembik, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM.

Or les obligations françaises conservent une réputation correcte à ce stade. Notamment parce qu'"on est un État bon payeur qui, comparativement sur le temps long, a une qualité de dette meilleure que d'autres", poursuit Christopher Dembik. Économiste chez Astères, Lucile Bembaron rappelle elle aussi qu'historiquement, la France "a toujours su honorer ses engagements" auprès de ses créanciers.

Des créanciers également confortés par les fondamentaux de l'économie tricolore dont la croissance résiste et qui reste "la deuxième de la zone euro" avec "des atouts" plus nombreux et une meilleure "diversification" par rapport à certains de ses proches voisins, rappelle Alexandre Baradez, chef analyste chez IG.

Sans oublier la capacité de l'État français à lever l'impôt: "La France est un pays riche, avec un niveau d'épargne très élevé, un patrimoine très élevé... Il y a un stock d'éléments taxables présent en cas d'urgence", poursuit l'expert.

Autant d'éléments qui amènent les investisseurs à juger que "la dette de la France reste soutenable", selon Lucile Bembaon. Reste enfin en dernier recours la BCE qui a la capacité de racheter massivement des titres de dette pour calmer d'éventuelles tensions sur les taux. Un parapluie européen qui renforce là-aussi la confiance de nos créanciers.

Morning Briefing : La France a émis 11 milliards d'euros de dette - 05/09
Morning Briefing : La France a émis 11 milliards d'euros de dette - 05/09
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Une dette qui trouve preneur mais qui coûte de plus en plus cher

Voilà pour le positif. Quelques bémols s'accumulent toutefois: le ratio, bien que confortable, entre le volume d'obligations demandé la semaine dernière et le volume émis a été légèrement inférieur à celui observé lors des dernières opérations similaires. Surtout, le rendement des OAT a augmenté: 3,57% pour le titre à 10 ans (3,27% en juillet), 4,43% pour le 30 ans (contre 4,05%)...

"Ce ne sont pas des niveaux monstrueux mais cela montre une dégradation", souligne Alexandre Baradez.

Nos créanciers ne sont en effet pas tout à fait insensibles aux turbulences de la vie politique française ni aux largesses budgétaires de l'État. En retour, ils exigent donc une prime de risque un peu plus élevée: "La France n’a pas vraiment de problème à placer son papier, par contre elle doit payer plus cher", observe Delphine Arnaud.

Comme en témoigne le marché obligataire où les taux d'intérêt de la dette française n'ont cessé de grimper ces derniers mois. Le rendement à 10 ans se situe aujourd'hui au-dessus de 3,45%, contre environ 2,8% il y a un an. Ce qui conduit désormais la France à payer plus cher pour se financer sur les marchés que l'Espagne, le Portugal ou encore la Grèce.

Longtemps perçue comme l'homme malade de l'Europe, l'Italie avec sa dette historiquement élevée (135% du PIB contre 114% en France) est de son côté parvenue à la réduire de 20 points en quatre ans. Des efforts salués par les investisseurs si l'on se fie aux taux italiens (3,46%) qui se rapprochent progressivement des taux français. Ils ont même été brièvement inférieurs le 9 septembre dernier, au lendemain de la chute du gouvernement Bayrou. "Ce qui compte pour les investisseurs, c'est la trajectoire des finances publiques" plus que leur situation à l'instant T, souligne Lucile Bembaron. Or, "la trajectoire de l'Italie, qui affiche un excédent primaire, semble plus maîtrisée".

La dette française concurrencée par la dette italienne et allemande

Si on peut essayer de se consoler en rappelant que la France se finance encore moins cher que le Royaume-Uni ou que les États-Unis, "il est vraisemblable" à court terme "que l'Italie empruntera à des taux légèrement plus faibles que la France" dans un scénario de crise politique et budgétaire durable, prédit Christopher Dembik. Et ce ne sera pas la seule "menace" qui planera sur la coût de la dette tricolore. Car la rareté des titres de dette allemands qui poussait jusqu'alors les investisseurs à se tourner vers les obligations françaises sera bientôt de l'histoire ancienne, l'Allemagne prévoyant d'émettre plus de 300 milliards d'euros de dette en 2026. Et "les taux allemands remontent eux aussi. Cela pourrait entraîner une fuite de capitaux de la France parce que les rendements sont plus intéressants", complète Lucile Bembaron.

"Nous serons non seulement en concurrence directe avec la dette de notre voisin d’outre-Rhin qui, à juste titre, est perçue comme moins risquée mais aussi avec la dette italienne qui est désormais de qualité similaire à la nôtre, confirme Christopher Dembik. Cela ne va pas provoquer un 'moment Liz Truss' – peu probable tant que la BCE veille au grain. En revanche, le lent déclassement de la dette française – commencé dès 2021 - devrait s’accélérer".

"Il n'y a pas de risque de crise dans l'immédiat. Il n'y aura toujours aucun problème sur la demande de dette en 2026, mais on va la payer encore plus cher", poursuit l'analyste.

Cette concurrence accrue peut "créer des tensions" sur les taux français, abonde Alexandre Baradez, estimant "d'autant plus nécessaire la présentation rapide de mesures budgétaires crédibles" pour rassurer les marchés. Peu importe au final que le déficit public repasse sous les fameux 3% dans 3, 5 ou 10 ans, "il faut juste donner une direction au marché", explique Lucile Bembaron. À défaut, la charge de la dette continuera d'étouffer un peu plus le budget de l'État et les investisseurs pourraient à nouveau sanctionner la France. Un cercle vicieux préoccupant à moyen terme:

"Les acheteurs domestiques et étranges ont une vision objective de la situation. Il n’y a pas de raison que les marchés ne nous sanctionnent pas", ajoute Alexandre Baradez, pour qui "cette situation nécessite une vraie vigilance". Et de mettre en garde: "Les investisseurs peuvent vite changer d’avis (sur la dette française), rien n’est gravé dans le marbre".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco