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Finances publiques

Une dissolution à 12 milliards d'euros? Comment l'instabilité politique plombe l'économie française depuis un an

Le drapeau français (photo d'illustration)

Le drapeau français (photo d'illustration) - Unsplash

En plus de freiner la croissance économique, la crise politique renforce les doutes des investisseurs sur la capacité de la France à redresser ses comptes publics. De quoi alimenter la charge de la dette.

Emmanuel Macron repart à la recherche d'un locataire pour Matignon. Après les échecs successifs des gouvernements de Michel Barnier et François Bayrou, tous deux renversés par l'Assemblée nationale, le chef de l'État va nommer "dans les tout prochains jours" un nouveau Premier ministre. Le troisième en un peu plus d'un an, le cinquième depuis 2022.

La personnalité retenue sera-t-elle cette fois en mesure de faire voter un budget et de survivre à la division du paysage parlementaire? La plupart des acteurs économiques le souhaitent, eux qui réclament à cor et à cri un retour à la stabilité et davantage de visibilité.

Il faut dire que la crise politique dans laquelle la France s'enfonce depuis la dissolution de juin 2024 est loin d'être indolore pour l'activité tricolore. Qui plus est à l'heure où les comptes publics dérivent dangereusement:

"Tout cela a des effets macroéconomiques réels. Ça coûte cher à la France. On préférerait avoir une politique claire et stable. Depuis la dissolution, on vit dans un climat d'incertitude nationale historique", souligne sur BFM Business Mathieu Plane, économiste à l'OFCE.

Or c'est bien connu: l'incertitude est un poison pour l'activité. L'OFCE estime à cet égard que la crise politique déclenchée il y a 15 mois a coûté 0,1 point de PIB à l'économie française en 2024 et 0,3 point de PIB en 2025. Soit approximativement 12 milliards d'euros.

Des ménages et des entreprises prudentes

Si l'incertitude est un poison, cela reste un poison lent. Car en dépit du climat politique, la France a échappé à la récession l'an passé et y échappera aussi cette année. Reste que la croissance du PIB reste atone et surtout de plus en plus flasque (1,4% en 2023, 1,2% en 2024, 0,6% attendu en 2025).

L'instabilité politique n'est pas seule en cause. Les tensions géopolitiques et commerciales avec les droits de douane de Donald Trump participent aussi au ralentissement de l'économie. Il n'empêche, le climat des affaires en France, qui reflète l'état d'esprit des chefs d'entreprise interrogés sur la situation économique, se maintient sous sa moyenne de longue période (100 contre 96 en août) depuis... juillet 2024. Tandis que l'investissement des entreprises a reculé de 1,1% l'an passé, après +0,4% en 2023.

"Du côté des entreprises, il n'y a pas de visibilité. Donc (...) il y a des gels et des reports d'investissement et un frein sur les embauches", observe Mathieu Plane. L'économiste note en outre que les ménages se montrent "particulièrement prudents" dans cet environnement incertain.

"Il y a une surépargne qui s'accumule (le taux d'épargne a atteint 18,9% au deuxième trimestre, du jamais vu depuis 1979, hors période Covid, NDLR), donc la consommation est complètement à plat. Or la consommation représente un peu plus de 50% du PIB". C'est aussi ce que reflète l'indicateur du moral des ménages qui après deux ans de remontée progressive est reparti à la baisse à partir de septembre 2024.

Un tableau peu réjouissant qui fait dire à Christopher Dembik, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM, que "tous les moteurs de la croissance sont en panne: la demande intérieure est quasi nulle, les perspectives d'embauche et d'investissement sont en berne, les hausses de salaires faibles et le commerce extérieur -même si ça n'a jamais été notre fort- est en chute libre à cause du regain de protectionnisme".

BFM Conso : Sans économies en 2026, 51 milliards de dette en plus - 09/09
BFM Conso : Sans économies en 2026, 51 milliards de dette en plus - 09/09
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La crise des finances publiques exacerbée par la situation politique

La croissance molle de l'économie française vient compliquer une équation budgétaire déjà difficile, alors que l'Hexagone figure parmi les cancres européens en raison de l'ampleur de son déficit public (5,8% du PIB en 2024) et de son endettement (113,9% du PIB ou 3.345,4 milliards d'euros fin mars).

Et là-encore, la situation politique n'arrange rien. Car face à une classe politique incapable de s'entendre pour réduire le déficit, les investisseurs qui prêtent à la France exigent une prime de risque toujours plus élevée. Depuis la dissolution d'ailleurs, les taux d'emprunts français ont augmenté progressivement (3,114% à 10 ans le 9 juin 2024 contre 3,413 ce 9 septembre 2025). Le rendement des obligations tricolores à 30 ans a même atteint plus de 4,5% début septembre. Du jamais vu depuis 2009.

En clair, la France paye de plus en plus cher pour se financer sur les marchés. Cette année, la charge de la dette devrait atteindre 67 milliards d'euros.

"L'année prochaine en 2026, 75 milliards. L’année suivante, 85 milliards" et "170 milliards à la fin de la décennie", a rappelé François Bayrou lundi, allant jusqu'à assurer que le "pronostic vital" du pays était "engagé".

Des propos exagérés pour Mathieu Plane qui rappelle que la France a "une balance des paiements équilibrée contrairement à des pays qui ont fait défaut". L'économiste reconnaît tout de même que la crise politique, si elle devait durer dans le temps avec "un nouveau budget censuré et une nouvelle dissolution" pourrait "conduire à une forme de drame éconnomique" et "à des choses qu'on ne maîtrise pas". Comprendre: une panique des investisseurs qui se traduirait par une envolée brutale des taux d'intérêt.

"La problématique, c’est que face à cette question du déficit public, il faut une stratégie de moyen terme qu’on ne voit pas du tout apparaître. Donc tant qu’on n’a pas résolu la crise politique, on ne va pas résoudre le problème budgétaire", conclut Mathieu Plane. Et c'est peut-être ce qui poussera l'agence Fitch à dégrader la note de la dette française vendredi prochain.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco